« Splendide travail d’édition »
Recension d'Arthur Cravan, la terreur des fauves de Rémy Ricordeau par Ernest London sur le site de la Bibliothèque Farenheit 451.
Déserteur, poète iconoclaste, boxeur-conférencier, inventeur de la critique d’art pugiliste, farouche pratiquant de toute forme de subversion, Arthur Cravan (1887-1918) a contribué « à dynamiter durablement la morale bourgeoise de son temps » nous prévient l’éditeur. Ce beau volume regroupe sa correspondance amoureuse, son Prosopoème, une revue de presse témoignant de la réception de ses exhibitions et publications poétiques par la critique, ainsi quelques interventions apportant nombre d’éléments biographiques et analytiques. Il entend restituer ainsi « la charge subversive originelle » de son oeuvre et « l’affirmation brute et sans apprêt d’une vie en insurrection », occultée par ses coups d’éclat, finalement anecdotiques, et sa figure de dandy.
Les articles publiés à son époque trahissent, on s’en doute, une extrême polarisation. Tandis que le Mercure de France reproche au poète sa pratique de l'insulte et son cynisme, Jean Malherbe, dans La Liberté, prend la défense de celui qui «dit leur fait à certains excentriques de l’art ». Tabarant, dans Paris-midi, renchérit : « Arthur Cavan a verveusement et souvent spirituellement exprimer le fond de sa pensé en riant. Il s'est moqué sans avoir plus de crainte qu'un enfant, sans soucis de rien que de dire. » Il réclame la clémence de la cour d'appel dans la procédure qui l'oppose à Sonia Delaunay et espère qu’elle « aura le bon esprit d'absoudre un critique exagérément tumultueux, peut-être, mais qui n’est coupable que d'avoir fait choix de ses épithètes dans le vocabulaire académique et électoral de notre Jean Richepin ». Les compte rendus de ses conférences boxées sont autant de morceaux de bravoure, dans une langue quelque peu exubérante, propre à la presse de cette époque. Est ainsi, par exemple, exaltée « la mise en pratique de son savoir-faire pugilistique avec une telle virulence qu’elle était de nature à attenter à l'élégance vestimentaire de ces agents de sécurité ».
Si sa correspondance intéressera peut-être moins, hormis ses lecteurs inconditionnels, l’analyse qui en est donnée mérite qu’on s’y attarde. Sa propension au coup de foudre semble, en effet, l’un des puissants moteurs de sa vie. Pour échapper à la conscription britannique, il s’établit à Barcelone, puis à New York, suivi par l’une ou l’autre, fréquente Picabia et Duchamp. Pour fuir la conscription américaine, en août 1917, il part à pied et en auto-stop à Montréal, puis, lorsque le Canada entre en guerre à son tour, se réfugie au Mexique, mi-décembre. « J’essaierai tout pour ne pas aller à la guerre depuis la ruse jusqu'à la révolte », promettait-il à Sophie Treadwell en juin de la même année.
Trois brèves biographies de Renée Bouchet, Mina Loy et donc, Sophie Treadwell, les trois femmes dont il fut follement épris, donnent quelques clés de compréhension supplémentaires
Sa révolte nourrie de l’amour, ses « capacités sensorielles hypertrophiées », décrites par Mina Loy, son rejet de la banalisation, la puissance de son désir, sa recherche de singularité, donnent à son regard sur le monde le pouvoir d’une loupe grossissante et révèlent les travers de l’époque. Si son destin de météore peut faire songer à celui d’un René Crevel par exemple, sa poésie, résolument prédadaïste, rappelle beaucoup celle de Benjamin Perret : « Qu’il vienne celui qui se dit semblable à moi que je lui crache à la gueule // mon art qui est le plus difficile puisque je l’adore et que je lui chie dessus. » À noter également, le splendide travail d’édition avec une maquette élégamment enrichie de documents iconographiques.
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