« Quand la photographie perd son œil, avec le numérique »
Recension de La Photo numérique par Jean-Claude Leroy sur le site de Mediapart.
La photographie, qui alliait l’optique à la chimie, a régné un petit siècle et demi avant que, débordée par le mode numérique, et plus précisément la photo-numérique, elle ne soit tout à fait supplantée par cette dernière. Cette « photographie », dont on précise maintenant qu’elle était la « photo-argentique », n’est plus aujourd’hui qu’un domaine assez marginal ; le fait de nostalgiques ou d’aficionados exigeants. Cette technique avait des vertus que le passage au numérique n’a pas conservées. Non pas une amélioration de la photo telle qu’elle existait, la photo-numérique amène une mutation, un changement de nature de l’image. Une démocratisation absolue de la prise d’images qui met en valeur davantage la diffusion et la profusion que la valeur de l’image en tant que telle.
Avec le boîtier argentique il s’agissait de confier à l’œil le soin de regarder avant que figer un instant qui passe. Il était question de reproduire l’extrait d’une séquence réelle, de rapporter un fragment de seconde d’une situation configurée dans l’espace. Certes l’art photographique avait poussé l’effet de réel dans ses retranchements, par exemple la netteté pouvait n’être plus un critère aussi déterminant qu’auparavant, alors qu’il était difficile à atteindre. Dès lors qu’il était acquis il n’y avait plus grand sens à le revendiquer, à le réitérer. L’art argentique n’attendait plus pour s’émanciper.
Il était toutefois encore un rapport entre chose et chose, on partait d’un objet pour arriver à un autre, alors qu’avec le numérique c’est un langage qui convertit en chose et produit une image qui en quelque sorte n’a pas d’origine.
Avec la photo-numérique qui est maintenant fabriquée essentiellement par des smartphones, l’œil n’a plus son rôle prépondérant, c’est le corps, à travers le plan de l’écran qui épouse presque aveuglément le paysage à saisir, « paysage » voulant dire ici la quelconque vision qui se présente à l’objectif. C’est maintenant l’écran qui est consulté, même plus après coup, mais tout le temps. Il ne s’agit plus de vérifier si la réalité a bien été consignée, mais de croire à l’écran en tant que seule réalité désormais possible, et probablement désirée.
Et c’est aujourd’hui une multitude de pratiquants, que Rouillé appelle les infra-amateurs, qui s’adonnent à ces captations incessantes, souvent compulsives. Non plus des yeux qui regardent un coin de paysage, mais des corps qui se prêtent à l’impression générale. [...]
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