« Misère de la collapsologie »
Recension de La Collapsologie ou l'écologie mutilée par Freddy Gomez sur le site À Contretemps.
On sait que l’effondrement du bloc dit « socialiste » ne signa pas la « fin de l’Histoire » annoncée par les propagandistes du capitalisme unifié. On sait aussi que, passée l’euphorie des premiers temps de la marchandisation généralisée du monde, il fallait être un fieffé décérébré néo-libéral pour accorder le moindre crédit à cette mystification. On sait enfin que, désormais, la multiplication des révoltes logiques, populaires et massives contre la marche désastreuse de ce monde collapsé atteste du caractère risible de la prévision. De fait, le consensus idéologique sur lequel elle reposait depuis le « dernier homme » de Fukuyama est en train de finir de voler en éclats sous nos yeux.
En parallèle – et dans une perspective assumée comme progressiste – l’impensé postmoderne a méthodiquement organisé, à grand renfort de relativisme et de déconstruction façon puzzle, et ce depuis quatre bonnes décennies, l’oubli de l’histoire, son effacement programmé et l’enseignement de son ignorance. Avec une particulière insistance dans le gommage systématique des antagonismes sociaux, la « lutte des classes » en somme, remplacée, au nom de la lutte « contre les dominations », par la valorisation sans limites des conflits d’identité ou de culture. On ne dira jamais assez ce que le néolibéralisme doit aux universitaires déconstructionnistes dans la mise en place de son dispositif de nucléarisation des résistances à son monde et de médiocratisation généralisée des consciences. Avec ce correctif, cependant : il semble que, par les temps qui courent – et pour le dire comme Emmanuel Todd –, « en haut le taux des crétins diplômés augmente [alors qu’] en bas l’intelligence progresse » depuis que les Gilets jaunes ont réinvesti avec fougue le champ social. La question de la médiocratisation, cela dit, reste entière si l’on s’intéresse aux réseaux militants de la postmoderne écologie politique, dont les collapsologues sont aujourd’hui l’une des composantes.
Avec ce nouveau livre, Renaud Garcia poursuit le démontage de ces mystifications postmodernes très influentes en milieu alternatif, tâche initiée avec succès dans son très utile Désert de la critique, qui marqua sans doute un point d’inflexion dans la valorisation faussement émancipatrice d’une idéologie parfaitement adaptée aux projets du techno-capitalisme tel qu’il est devenu en matière d’artificialisation du monde. Ce Désert fut ici salué pour ce qu’il valait : une réhabilitation des fondamentaux d’une critique sociale digne de ce nom contre l’idéologie du néant d’une postmodernité triomphante.
« Un spectre hante la critique sociale : celui de sa destruction programmée, avec celle du monde qu’elle s’est évertuée à comprendre depuis deux siècles. » C’est sur cette phrase inspirée de l’accroche molto vivace du jeune Marx du Manifeste que s’ouvre La Collapsologie ou l’écologie mutilée. Au vrai, la comparaison avec le grand ancêtre s’arrête là tant Renaud Garcia cherche à maintenir son essai éminemment critique dans le même registre que son Désert de la critique, fermement argumenté mais mesuré. Comme si le pamphlet n’était décidément pas dans sa manière malgré son attachement, revendiqué dans presque tous ses écrits, à la critique situationniste, essentiellement debordienne, et à son prolongement, dans une veine littéraire-catastrophiste, par L’Encyclopédie des nuisances (EdN). [...]
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