« Copieux, riche et dense »
Recension de Brasero n°3 par Francis Pian dans Le Monde Libertaire.
La revue Brasero en est seulement à son numéro 3 et elle est déjà devenue un évènement éditorial. Nous retrouvons la qualité de la mise en page, l’élégance de la typographie et des textes à la richesse éclectique. Une forme de cabinet de réflexion.
Anne Steiner s’appuyant sur les notes de Charles Reynert, ouvrier fondeur à Nancy, anarchiste individualiste, pour découvrir de l’intérieur ce que furent les 70 camps de concentration français de la Première Guerre mondiale. Y furent enfermés notamment des militants politiques ou considérés comme tels par les pouvoirs publics. C’est le cas de cet anarchiste inscrit au fameux carnet B. 60 000 personnes ont été visées dont un certain Victor Serge, car elles pouvaient entraver la mobilisation. A noter que 126 députés saisirent le ministre de l’Intérieur dénonçant ces internements abusifs résultant de la psychose de l’espionnage et de la délation, spécialité française bien connue. Reynert comme les autres fut libéré en 1916. Pas sûr qu’il y aurait autant de parlementaires aujourd’hui capables de se mobiliser en ce sens.
Charles Reeve revient sur les évènements révolutionnaires suivant la révolte des militaires du 25 avril 1974 au Portugal. Les faits sont un peu oubliés aujourd’hui. Certains se rappellent une chanson de Georges Moustaki, Portugal. L’influence de ces évènements était majeure dans la stratégie politique des forces de gauche dans toute l’Europe. Charles Reeve insiste sur le rôle de l’insurrection populaire et l’insubordination des soldats du contingent, sans oublier la liesse dans les rues. Les photos de l’époque nous font songer aux rues espagnoles de 1936.
Un article fait écho à la passionnante exposition Ripostes, Archives de luttes et d’actions des années 70 à la Contemporaine, Paris X Nanterre, jusqu’au 16 mars 2024. On y retrouve dans les deux cas, le livre de Pierre Ryckmans alias Simon Leys, Les habits neufs du président Mao publié chez Champ libre. Alors que la mode est à l’adoration de la Chine communiste, du petit livre rouge et de la révolution culturelle, l’auteur dénonce les faits et méfaits dans ce pays. Intéressant de lire l’accueil de cet ouvrage dans la presse…
Une galerie de portraits
Et puis, Brasero n°3 devient comme une galerie de portraits. Le docteur Legrain lance une grande campagne contre l’alcoolisme et vous pourrez faire le lien avec l’action de Jules Durand sur les quais du Havre auprès de ses camarades. D’autres personnages apparaissent dont cette curieuse Savitri Devi, rebelle, théoricienne de choc anticolonialiste mais aussi adepte du national-socialisme prenant Hitler pour la réincarnation de Vishnou. Toujours, Anne Steiner reprend la vie d’Angelica Balabanova née en Ukraine, une des deux femmes siégeant au bureau de la Seconde internationale, secrétaire de la Troisième internationale qui prend conscience de la réalité bolchevique. Une note sur Fanny Kaplan accompagne l’article d’Anne Steiner.
Qui connaît Tupac Amaru II ? Et pourtant la citation : « Je reviendrai et nous serons des millions » est célébrissime. Il lance la dernière grande insurrection inca contre l’Empire espagnol. Ses prises de position inspirent plusieurs mouvements en Amérique du Sud au XXème siècle.
Peu connue aussi, Lucie Cousturier, peintre néo-impressionniste proche de Félix Fénéon et Paul Signac, écrivaine, elle s’engage contre la colonisation particulièrement en Afrique.
Varia
Pour souligner la diversité des thèmes de la revue, je relèverai cet article richement illustré de Gabrielle Smith consacré à la prostitution d’élite dans le Japon d’Edo. Mais vous pourrez goûter celui relatif aux duels à l’épée en France fin 19e-début 20e.
Face à l’industrialisation et ses méfaits, aliénation des ouvriers, destruction des métiers et de la terre, John Ruskin, écrivain de l’Angleterre victorienne, défend l’artisanat, la nature et la beauté. Vous trouverez des liens avec le mouvement luddite (chronique Des idées et des luttes, 19 février 2023, La Révolte luddite) ou les textes de William Morris.
Aux thématiques plus récentes, La Commune d’Ovada dans les années 70, une interview du dessinateur Willem, l’incendiaire, évidemment abondamment illustré. Et je ne fais que mentionner les caractères d’Excoffon, Les dictionnaires de Maurice Lachâtre, Henry Salt. A lire.
Copieux, riche et dense, ce nouveau numéro de Brasero. A acquérir en priorité et en apprécier les pages avec plaisir. A relever autant de notes au fil des pages qui renvoient à tant d’autres livres (...).
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