« 1923-2023 : Bagne de Guyane, deux regards à 100 ans d’écart »
Recension de L'Incorrigible de Roland Cros par David Sauzé et Ernest London dans Alternative Libertaire.
Les éditions L’Échappée publient cet automne la BD / le roman graphique (sans mots !) de Roland Cros, L’incorrigible, itinéraire d’un bagnard ordinaire. En 90 magnifiques gravures en noir et blanc, Roland Cros restitue une ambiance, celle du bagne, des corps meurtris, de la noirceur et de la violence ordinaire de la justice bourgeoise et de l’institution carcérale.
Il y a cent ans, c’était un reporter, Albert Londres qui découvrait lui aussi le bagne. Son reportage publié dès le mois d’août 1923 en feuilletons dans le Petit Parisien portera à la connaissance du grand public la vie des bagnards et leurs conditions indignes. Ce sera le début de la fin de cette institution totalitaire et coloniale. Regards croisés à 100 ans d’écart sur le bagne et sa violence systémique.
Guyane 1923, Albert Londres met le bagne à l’amende
En août 1923 Albert Londres, considéré comme le pionnier du grand reportage, publie le premier épisode de son enquête sur le bagne de Guyane. La restitution minutieuse des histoires individuelles, à hauteur d’homme, redonne leur humanité aux bagnards dont la condamnation au bagne vaut bien souvent une condamnation à perpétuité. Son reportage sera la première pierre qui amènera à loi instaurant la fermeture du bagne votée en 1938.
Si les premières déportations d’opposants, royalistes et prêtres réfractaires, vers la Guyane ont lieu dès 1795 sous la Révolution française c’est par une série de lois prises entre 1852 et 1854 que le Second Empire met en place les bagnes coloniaux, en Guyane et en Nouvelle-Calédonie. Le Second Empire pensait avoir trouvé la réponse à différentes problématiques : sécuritaires, sanitaires économiques et morales. Napoléon III entend exclure définitivement du corps social ses éléments les plus « contaminés » et « contaminants » par la déportation et les travaux forcés.
Depuis les années 1830 la criminalité est devenue un problème social : juristes, économistes, médecins publient études et mémoires sur la question. Les villes deviennent des lieux redoutés où s’entasse une population paupérisée qui effraie la bourgeoisie. Selon Louis Chevalier, au début du Second Empire les classes populaires deviennent synonymes de classes dangereuse auxquelles sont associées la criminalité, laquelle : « cesse de coller étroitement aux classes dangereuses pour s’étendre, tout en changeant de signification, à de larges masses de population, à la plus grande partie des classes laborieuses » [1]. La déportation, en tant que mise à l’écart des parties contaminées du corps social est une forme de prophylaxie à la fois sociale mais également sanitaire. L’éloignement du corps social des « classes dangereuses », répond également à une demande des populations riveraines des bagnes portuaires de Brest, Rochefort, Toulon, … (qui ont remplacé à partir du XVIIe siècle les galères), qui craignent à la fois pour leur sécurité et leur santé (...).
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