19/12/23

« Le petit livre bleu »

Recension de Little Blue Books de Goulven Le Brech par Sonia Combes dans En attendant Nadeau.

C’est une aventure éditoriale méconnue que rappelle Goulven Le Brech. Elle démarra au fin fond du Kansas, avec la promotion de livres « à deux balles » (Kenneth C. Davis) : les Little Blue Books. C’est ainsi que son initiateur, Emanuel Haldeman-Julius, propagea dans la première moitié du XXe siècle ses idéaux d’émancipation et de lutte contre l’obscurantisme religieux, devenant le « Henry Ford » de l’édition – avant d’être victime du très réactionnaire et puissant patron du FBI, John Edgar Hoover.

Le livre de Goulven Le Brech, qui bénéficie d’une édition soignée et élégamment illustrée comme toujours avec L’Échappée, commence par cette épigraphe tirée d’une lettre de Voltaire à d’Alembert : « Jamais vingt volumes in-folio ne feront de révolution ; ce sont les petits livres portatifs à trente sous qui sont à craindre. Si l’Évangile avait coûté douze cents sesterces, jamais la religion chrétienne ne se serait établie. » À bon entendeur salut, car il y a de fortes chances qu’Emanuel Haldeman-Julius, qui édita Voltaire, ait laissé passer semblable réflexion. 

Fils d’un relieur érudit qui avait fui les pogromes d’Odessa et émigré aux États-Unis, cet homme naquit en 1889 à Philadelphie dans l’odeur de la colle et l’amour des livres transmis par son père. Il quitte très jeune l’école et Philadelphie pour New York, y côtoie des immigrants du vieux continent, s’intéresse aux questions sociales. Il lit Marx, Engels et Jaurès, rencontre l’anarchiste Emma Goldman et se met à écrire pour des revues socialistes de New York des textes qu’il rassemblera plus tard dans un Little Blue Book de sa collection du même nom. Il est résolument athée et conçoit les religions comme nuisibles et fausses. Lié à Jack London, qu’il admire et critique pour son goût du faste et de l’argent, Haldeman-Julius publiera nombre de ses nouvelles. À travers les Little Blue Books, c’est toute une traversée de l’Amérique à partir de ses écrivains dotés d’une sensibilité à la question sociale qu’on effectue, des écrivains généralement trop peu connus en France, ainsi l’avocat Clarence Darrow (1857-1938) ou encore le syndicaliste des chemins de fer Eugene Victor Debs (1855-1926). Upton Sinclair l’est davantage. La jungle, son célèbre livre qui dénonça les atroces conditions de travail dans les abattoirs de Chicago, fut édité dans une série de six Little Blue Books en 1924.

En 1915, Haldeman-Julius s’était vu proposer le poste de codirecteur d’un journal socialiste qui se trouvait à Girard, une petite localité au sud de Kansas City et lieu de l’industrie minière du charbon et de l’agriculture. C’est donc du morne Middle West qu’il allait prendre son envol comme éditeur, avec son épouse, Marcet, à qui l’on doit, en 1927, l’un des fleurons des Little Blue Books, « The Story of a Lynching. An Exploration of Southern Psychology » dans lequel est relaté le lynchage de 245 hommes et femmes noires en 26 ans dans le seul État de l’Arkansas (...).

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Goulven Le Brech