« Une critique subtile et exprimée avec beaucoup de générosité »
Recension du Piège identitaire de Daniel Bernabé par Aude Vidal sur son blog Écologie politique.
En 2018, le journaliste et essayiste Daniel Bernabé publiait en Espagne un ouvrage critique des tendances de la gauche à servir les besoins de reconnaissance des minorités tout en abandonnant toute prétention à lutter contre l’organisation socio-économique qui permet l’exploitation des travailleurs et travailleuses. Résumé comme ça, le livre semble rejoindre le lot de ces nombreuses imprécations moqueuses et convenues contre les « racialisateurs », les féministes post-modernes ou les poses de la bourgeoisie de gauche dans l’espace public. Mais l’exercice est bien plus subtil et cette publication, traduite et légèrement adaptée au contexte français de 2022 par Patrick Marcolini (1), est une réussite. Car il ne s’agit pas pour l’auteur de déclarer la nullité des demandes des groupes sociaux minorisés (femmes, personnes non blanches, LGBT, etc.) mais de les articuler à une critique sociale plus large et vigoureuse, celle d’un capitalisme en roue libre, qui ne rencontre plus guère d’opposition dans les sociétés européennes.
L’auteur replace pour commencer le surgissement des questions féministes, raciales et de « diversité », comme il les nomme, dans le cadre de la mutation néolibérale. Serge Halimi était plus exhaustif que lui dans Le Grand Bond en arrière (rééd. Agone, 2012) et Grégoire Chamayou plus fin dans La Société ingouvernable (La Fabrique, 2018) mais le tableau qu’il brosse est suffisant. C’est celui du triomphe du néolibéralisme, avec sa démocratie enfin apaisée car les grands partis au pouvoir proposent tous un service plus ou moins complaisant du capital. Ce refus de toute alternative économique s’accompagne d’une vision du monde d’où les classes sociales ont disparu, remplacées par une vague classe moyenne (« les travailleurs croient en faire partie et les riches prétendent l’incarner »). Sans cette compréhension dans les termes de la classe, tou·tes celles et ceux qui mettent leur force de travail au service du capital, en échange de rétributions plus ou moins généreuses, « se perçoivent comme absolument seuls dans un monde implacable, et ne trouvent de réconfort que dans une idéologie individualiste vantant la compétition, la méritocratie et l’affirmation de sa propre différence » (...).
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