11/10/24

« Trente ans de numérique dans le monde, c’est trente ans de morts congolais et de terres mortes au Congo »

Entretien avec Fabien Lebrun, auteur de Barbarie numérique, par Camille Lesaffre sur le site de l'association Survie.

Chercheur, auteur de On achève bien les enfants. Écrans et barbarie numérique (Le Bord de l’eau, 2020) et membre de l’association Survie, Fabien Lebrun publie une nouvelle étude sur les impacts écologiques et géopolitiques des nouvelles technologies ainsi que sur les enjeux éducatifs et éthiques du numérique. Entretien autour de ce nouveau livre, Barbarie numérique. Une autre histoire du monde connecté (Éditions L’échappée).

« Agir pour la reconnaissance du génocide des Tutsis au Rwanda ne doit pas se faire au détriment des populations congolaises victimes de la politique économique rwandaise au Congo, au même titre que dénoncer les crimes à l’Est du Congo ne peut en aucun cas alimenter le doute sur le génocide des Tutsis au Rwanda et toutes formes d’anti-tutsisme. »

Qu’est-ce qui vous a amené à travailler sur la RDC ?

Après avoir étudié divers impacts de la consommation des technologies de l’information, je me suis penché sur la production de l’ensemble des terminaux et infrastructures numériques, c’est-à-dire sur leur matérialité. Ainsi, lorsque l’on se penche sur les ressources naturelles qui composent nos appareils connectés, nous tombons obligatoirement sur le Congo-Kinshasa, de par sa singularité géologique.

Vous êtes membre de l’association Survie, dont l’un des combats historiques est la reconnaissance de la complicité de la France dans le génocide des Tutsis au Rwanda. Le régime de Kigali actuel est accusé par l’ONU de soutenir le M23, groupe armé actif dans la déstabilisation du Nord-Kivu. Identifiez-vous une contradiction entre le travail de l’association sur la politique française au Rwanda en 1994 et votre travail sur la RDC ?

Il n’y a pas de contradiction entre ces deux axes. Il s’agit d’être nuancé et précis sur les situations rwandaise et congolaise dans ce qu’elles ont en commun et ce qui les différencie. De fait, agir pour la reconnaissance du génocide des Tutsis au Rwanda ne doit pas se faire au détriment des populations congolaises victimes de la politique économique rwandaise au Congo, au même titre que dénoncer les crimes à l’Est du Congo ne peut en aucun cas alimenter le doute sur le génocide des Tutsis au Rwanda et toutes formes d’anti-tutsisme. L’imbrication des deux histoires doit par ailleurs faire prendre du recul sur les facteurs "ethniques". Il faut convoquer d’autres déterminants aux drames communs en Afrique des Grands Lacs. Et il me semble que la détermination économique en général, et technologique en particulier de par l’extraction minière destinée au secteur high tech, permet de resituer les enjeux de la région en prenant en compte la singularité de chaque pays et chaque communauté.

La chute de Mobutu a signé la dislocation de l’État du Zaïre, en territoires convoités par des groupes armés aux revendications diverses. Comment votre analyse de l’extractivisme contrarie-t-elle les lectures ethnicistes des conflits en cours ? Quels liens vous faites avec la colonisation, le (néo)colonialisme ?

Les lectures ethnicistes sont simplistes et alimentent parfois le pire en termes de xénophobie. Nombres de chercheurs rappellent la dimension ethnique et communautaire des conflits au Congo, du fait de revendications foncières, autour de la conception de la terre et de son usage. Mais cette situation locale, à l’ère de la mondialisation, doit être mise en tension avec la géopolitique régionale et internationale. La plupart des groupes armés existent à partir de l’exploitation de ressources naturelles (minières, agricoles et forestières). Donc au-delà de leurs revendications locales, tous dépendent d’une économie locale elle-même en interconnexion avec l’économie mondialisée. On retrouve des acteurs du monde entier qui participent de cette exploitation et commercialisation des matières premières congolaises, notamment des agents « traditionnels » du colonialisme (les Occidentaux) et des nouveaux (particulièrement la Chine) (...).

Pour lire la suite : www.survie.org/pays/republique-democratique-du-congo/article/entretien-avec-fabien-lebrun-auteur-de-l-ouvrage-barbarie-numerique-une-autre

Fabien Lebrun