« Louis Cros, un roman révolté »
Recension de L'Incorrigible de Roland Cros par Valentin Maniglia dans Le Quotidien.
Parti d’un mystère pseudo-familial, Roland Cros retrace l’existence d’un homonyme jadis déporté au bagne dans un «roman gravé» aussi muet que saisissant.
Selon la définition du Larousse, un «incorrigible» est «quelqu’un qu’on ne peut corriger, qui s’obstine dans ses erreurs». C’est par ce seul mot que Roland Cros caractérise Louis Cros, déporté au bagne en Guyane au milieu du XIXe siècle. Mais dans le «roman gravé» de Roland Cros, le poids des images prend le pas sur le choc des mots. Car l’histoire de Louis Cros est la même que celle de tous les bagnards : une tragédie sombre, violente, injuste. Une histoire qui se passe de paroles, parce qu’écrite, à l’origine, par les actes.
Les mots, c’est d’abord ce qui a manqué à Roland Cros lorsqu’il est tombé sur l’existence de Louis Cros, dit «Minel», «dans la salle de lecture des archives nationales d’Outre-mer à Aix-en-Provence, il y a plus de dix ans». Né en 1832, «dans le même canton» du Tarn que le père de l’auteur et toute son ascendance avant lui, Louis Cros a été condamné aux travaux forcés en 1857, à l’âge de 24 ans, pour récidive de vol avec effraction. Hormis celles trouvées dans les maigres archives, c’est toutes les informations dont Roland Cros disposera sur cet homonyme qui cache peut-être un aïeul. C’est cela, aussi, qui fait de Louis Cros un «incorrigible», un de ceux dont on ne peut rétablir la vérité qu’en l’imaginant – comme l’écrasante majorité des 100 000 bagnards déportés dans les colonies françaises les plus éloignées du continent, Louis Cros «est mort comme il a vécu. Anonyme», écrit l’historien Jean-Marc Delpech en postface.
Dans d’autres vies, Roland Cros a photographié la scène punk française des années 1980, a filmé la vie des boxeurs et des toreros… Mais depuis que ses outils, «ce sont la gouge, l’encre, le papier et le linoléum», c’est en 90 gravures que Roland Cros raconte l’histoire de Louis dit «Minel», devenue personnelle car animée par l’obsession de l’auteur pour le mystère d’une existence irrésolue. Ainsi, Roland Cros prend des libertés avec le réel au profit du récit : le Louis Cros de son roman graphique vit cinquante ans après celui trouvé dans les archives, soit au début du XXe siècle, à «l’apogée du bagne». Dans chacune des gravures pleine page qui composent ce livre, transpire la puissance évocatrice liée tant à une interprétation intime de la vie du forçat qu’à l’exactitude historique de la vie au bagne, soigneusement vérifiée par Jean-Marc Delpech et son collègue Philippe Collin (...).
Pour lire la suite : www.lequotidien.lu/culture/bande-dessinee-louis-cros-un-roman-revolte