« Les séries télé : pourquoi on en regarde beaucoup trop »
Entretien avec Bertrand Cochard, auteur de Vide à la demande, par Laure Coromines dans L'ADN.
Politiques, esthétiques, morales et thérapeutiques... Les séries télé se sont parées de toutes les vertus. Un bon alibi pour en regarder plus qu'il n'en faut ?
Longtemps considérées comme un genre subalterne, les séries télé ont été réhabilitées dans les années 2000 et 2010 avec les succès critiques de Breaking Bad, Fargo, Mad Men ou encore True Detective des chaînes HBO et AMC. En 2015, l'historienne Marjolaine Boutet pose la question dans un essai : « Les séries télévisées sont-elles l’art majeur du 20e siècle ?» En 2017, le philosophe et romancier Vincent Colonna avance dans le tome 2 de L'art des séries télé que ces dernières sont l'une des formes culturelles et artistiques contemporaines les plus puissantes. Désormais disponibles « à la demande », elles ont envahi tous les interstices de notre quotidien, des temps morts passés en solo après le travail aux conversations entre amis autour d'un verre. Un phénomène qui touche tout le monde, indépendamment de la classe sociale, de l'âge et des sensibilités politiques. Dans Vide à la demande, publié début avril aux Éditions l'Échappée, le philosophe Bertrand Cochard se livre à une critique de celles devenues omniprésentes et indissociables d’une infrastructure numérique qui dégrade notre existence et réordonne notre rapport au temps.
Essayistes, médias et intellectuels ont depuis quelques années blanchi la réputation des séries télé. Pourquoi ?
Bertrand Cochard : On assiste en France depuis une dizaine d'années à l’éclosion d’un discours intellectuel consistant à réhabiliter les séries, en les investissant de tout un tas de vertus : politiques, morales, esthétiques... On pourrait croire que les intellectuels n’ont fait que suivre et théoriser un processus déjà à l’œuvre dans la production de séries depuis Twin Peaks et Les Soprano, à savoir un processus qui aurait conduit les séries à leur maturité esthétique. Finis les feuilletons aux images et dialogues très pauvres ; place à une forme subversive, capable d’intégrer les codes du cinéma, de mobiliser des acteurs et réalisatrices de renom, et d’être donc très financée. Il est évident qu’une telle évolution a eu lieu. Mais pourquoi alors faudrait-il « réhabiliter » les séries ? Qui pourrait encore douter du fait que certaines séries sont de véritables chefs-d’œuvre, et que désormais, il en va de la série comme il en va de tout produit culturel : il y a du bon et du médiocre. Mon hypothèse est donc que ces intellectuels ont intérêt à continuer à présenter la série comme un genre mineur. Tant que c’est le cas, leurs discours consistant à les « sauver » sont de fait investis d’une forme d’aura. Ils bénéficient ainsi, à peu de frais, de gages de « subversivité » (...).
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