« Les décrocheurs scolaires du XIXe et la fièvre de la liberté ? »
Recension de Brasero n°2 par Guillaume Malaurie sur Historia.
Le décrochage scolaire qui suppose parfois l’abandon pur et simple de l’école concerne aujourd’hui en France selon les derniers chiffres près de 10% des élèves... 5,2% des 14-16 ans ne sont tout simplement pas scolarisés. Impossible « avant » du temps de Jules Ferry et de l’école laïque gratuite et obligatoire ? Détrompez-vous !
Dans la seconde livraison de la formidable revue annuelle Brasero dont nous vous avions déjà parlé sans mâcher notre admiration, la chercheuse Anne Steiner consacre un article magnifique intitulé, L’enfance insoumise, fugueurs et vagabonds sous la III° République. Car enfin, plus de vingt ans après l’application des lois Ferry « 60% des nouveaux admis à la colonie pénitentiaire d’Auberive réservée aux garçons de 12 à 14 ans ne savaient ni lire ni compter. » En 1875 à Paris, ce sont 10 000 enfants qui « flottent de la vie domestique à la vie vagabonde sans forcément tomber sous le coup de la loi ».
Beaucoup de ces petits gavroches dorment où ils peuvent et cherchent à échapper à des conditions sociales, parentales et d’habitation scabreuses. Mais la fugue est aussi le moyen pour les enfants de notables de fuir un encadrement psychologique ou des institutions catholiques par trop inquisitoriales. C'est le cas de Jacques Thibault et de Daniel de Fontantin ( 14ans ). Ce sont ces jeunes héros de Roger Martin du Gard dans le premier tome des Thibault . Ce best-seller de l’entre-deux-guerres situe l’action avant et pendant la guerre. Attention : le décrochage scolaire au tournant du siècle n’est pas seulement une démarche d’évitement. Il révèle aussi une pulsion libératrice pour tenter l’autre école, celle de la vie. L’envie d’aventure, de nouveaux horizons, de liberté, d’engagement semble décisive pour nombre de fugues de ces préados. À l’exemple d’un Rimbaud .... La preuve dès la déclaration de guerre en 1914. De très nombreux jeunes ados – moins de 16 ans – se précipitent sur les fronts !
Dans un article du 31 mars 1917, le journaliste du Bonnet Rouge évoque la « croisade des enfants ». Rien qu’à Paris dés 1914, écrit Anne Steiner, cent vingt-sept enfants de onze à seize ans ont fugué d’août à décembre vers le front. Figure emblématique qui a donné son nom à une rue de Marseille : Désiré Bianco. À 12 ans, Désiré réussit à joindre le 61e régiment de hussards en partance pour Verdun. Viré, il va à Toulon et embarque en clandestin pour les Dardanelles. À Gallipoli, il est le premier à attaquer, sabre au clair, et à se faire atomiser, puis citer à l’ordre de l’armée française d’Orient après le feu vert de Joffre. Ce fut le temps des enfants en rupture de ban scolaire : téméraires, assoiffés d’aventure, criminalisés, corrigés, héroïsés. Ce temps s’est -il définitivement refermé avec la multiplication des établissements spécialisés, puis la fameuse ordonnance très protectrice de 1945 sur la jeunesse ? Pas sûr. À écouter les paroles du rap, le désarroi d’une jeunesse en rupture de ban et de formation et ces quêtes d’autres voies, le XIXe fait peut-être son retour. Généralement pour le pire. Pour le meilleur parfois. Dernier point, précipitez-vous sur ce numéro de Brasero (*) avec de bout en bout des articles que l’on ne trouve nulle part ailleurs : sur la télépathie dans les hautes sphères de l’Union Soviétique, sur la traction animale des manèges, sur la chasse aux rats à Paris au XIXe siècle, sur l’obsession militariste des trotskystes qu’il est tout de même bon de rappeler...
(*)Brasero n°2, revue de contre-histoire, coordonnée par Cédric Biagini et Patrick Marcolini. Illustrée par Jean Aubertin ( Éditions de L’Échappée, 191. P., 22 euros ). Dépêchez-vous, il n’y en aura pas pour tout le monde ! Sortie le 18 novembre 2022 (...).
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