« Le Modernisme réactionnaire »
Recension du Modernisme réactionnaire par Robert Maggiori dans Libération.
Entre le moment de sa publication en Grande-Bretagne (1984), et celui de sa traduction française tardive, cet ouvrage est devenu en Europe et aux États-Unis un classique. Ce n’était pas gagné d’avance, car, en général, on considère que la « réaction » est antimoderniste en ce qu’elle se réfère à un passé mythique, au culte de la tradition, à un sang et une terre originels et purs, et donc que l’idéologie nazie aurait été une « révolte politique et culturelle contre la modernité ». Jeffrey Herf, professeur émérite à l’université du Maryland, parle au contraire, en explorant les sources idéologiques, philosophiques, politiques et sociales de la pensée d’extrême droite et du nazisme, d’un « modernisme réactionnaire », traduisant un attachement enthousiaste aux technologies les plus avancées et non à une « haine de la technique ». Le souci constant des intellectuels conservateurs allemands, d’Oswald Splenger à Ernst Junger, de Carl Schmitt à Hans Freyer et Werner Sombart, a été ainsi de réaliser une sorte de « conciliation » entre modernité et tradition, progrès technique et valeurs aristocratiques, élites culturelles et armée. C’est la complexité et l’aspect problématique d’une telle conciliation qu’analyse Herf, sous l’angle historique, sociologique et politique, en se référant à l’École de Francfort.