« Le destin de « Paria » d’Hannah Arendt face au régime de Pétain »
Recension de Parias de Marina Touilliez par Christian Gattinoni dans La Critique.
Le CERCIL Musée des Enfants du Vel d’Hiv vient de célébrer le 20e anniversaire de l’association franco-allemande Mémoires croisées qui lie le Land de Sachs Anhalt et la région Centre-Val de Loire pour célébrer la Seconde Guerre mondiale et la Shoah. Grâce à cet échange, Nancy Jahns et moi avions organisé le workshop et l’exposition Photographier contre l’oubli (Publication disponible gratuitement en ligne ici).
La rencontre a été l’occasion d’une conférence donnée par Marina Touilliez pour présenter son essai PARIAS Hannah Arendt et la “tribu” en France (1933-1941). Ces réfugiés dissidents ont fait l’objet d’un déni quant à la façon dont ils ont été traités une fois en France.
Opposée à Hitler, Hannah Arendt, âgée de 27 ans réussit en 1933 à fuir l’Allemagne en trompant la Gestapo. Elle passe par Prague avant d’arriver à Paris. Elle est contrainte d’y résider dans les chambres insalubres des hôtels garnis, soumise aux difficultés bureaucratiques « sans carte de travail, pas de contrat ; sans contrat, pas de carte de travail », elle parvient cependant à enchaîner des petits boulots, puis à devenir secrétaire particulière de la baronne Germaine de Rothschild. Comme ses compagnons d’exil, beaucoup de Français les considèrent mal, les traitant de « boches » selon la terminologie de la Première Guerre, les accusant malgré leur engagement politique d’être « la cinquième colonne d’Hitler », alors qu’ils étaient prêts à s’engager.
Dans leur opposition au nazisme, tous les réfugiés politiques perdent leur nationalité allemande. Hannah Arendt affirmera à ce sujet perdre « son appartenance à la communauté humaine ». Au quartier latin et à Montparnasse, ceux qui ont fui Hitler parviennent à faire vivre cette diaspora. Elle y fait la connaissance d’Heinrich Blücher, un révolutionnaire, ayant réussi à donner un cours d’enseignement de philosophie de la musique à la Schola Cantoum qui deviendra son second mari. Le groupe d’intellectuels réunit des personnalités telles Erich Cohn-Bendit avocat et père de Dany, Adrienne Monnier, libraire, Arthur Koestler, auteur de Le zéro et l’infini, Raymond Aaron, sociologue et historien, Alexandre Koyré philosophe et historien des sciences et Walter Benjamin. Ils constituent alors sa « tribu », sa « patrie portative », comme elle aime à le dire, avec eux elle passe son temps dans les troquets parisiens à rêver d’une Allemagne antifasciste.
L’antisémitisme et la xénophobie règnent en France et les réfugiés sont qualifiés d’« indésirables ». En violation du droit d’asile Pétain signe la close 19 pour les remettre tous aux nazis et de les interner dans des camps improvisés. À l’approche de la guerre, les amis sont l’un après l’autre enfermés. Quand les allemands entrent dans Paris on assiste à une vague de suicides dans cette communauté. Pendant plusieurs semaines, Arendt connaît « l’enfer du camp de Gurs » dans les Basses-Pyrénées et frôle le désespoir. Lorsque les troupes nazies envahissent la France, elle profite de la situation chaotique pour fuir le camp. Elle se rend à Portbou où se réfugiera Walter Benjamin, désespéré après la confiscation de ses manuscrits et qui s’y suicidera le 26 septembre 1940. Elle passe au Portugal pour gagner les États-Unis.
La préface de la philosophe Martine Leibovici, spécialiste de l’autrice des Origines du totalitarisme, qui lui a consacré 3 essais au sujet de ses travaux sur l’activité politique et la ’ fait un point sur son importance et sur le déni de sa situation historique par le régime de Pétain. À partir d’une enquête biographique, d’archives et de témoignages inédits, Marina Touilliez construit le récit passionnant des huit années françaises de Hannah Arendt, qui marqueront profondément sa vie et son œuvre philosophique par la suite aux États-Unis jusqu’à sa mort à New York en 1975 (...).
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