28/11/24

« Écueils décoloniaux »

Recension de Critique de la raison décoloniale par Samuel Lacroix dans Sciences Humaines.

Qu'est-ce que le décolonialisme ? Ce concept en vogue est aussi soumis  à de vives critiques. Un ouvrage collectif revient aux sources et dénonce  ses errements sans tomber dans la caricature.

Le terme « décolonialisme » s’invite de plus en plus dans le débat public. Ses contempteurs y voient une pensée dangereuse portée par des radicaux retournant l’antiracisme en son contraire. Qu’en est-il réellement ? C’est ce que veut établir l’ouvrage collectif Critique de la raison décoloniale. Conscients du caractère caricatural de beaucoup des critiques qui sont adressées à ce courant de pensée, ses auteurs, pour la plupart des chercheurs latino-américains en sciences sociales, cherchent à revenir à ses sources et à décortiquer le plus rigoureusement possible ses arguments. Ceci afin de démontrer qu’il y a bien un problème avec le décolonial, mais qu’il ne s’agirait pas de jeter le bébé avec l’eau du bain.

Au-delà du postcolonial

Dans les années 1980, on parlait davantage de postcolonial que de décolonial. À l’instar de penseurs comme le Palestino-Américain Edward Saïd ou l’Indienne Gayatri Chakravorty Spivak, les postcoloniaux analysaient l’héritage de la colonisation et ses effets persistants dans un monde où les luttes de libération nationale avaient triomphé. Dans les années 1990, les décoloniaux cherchent à aller plus loin en établissant que l’ensemble de la modernité, dont on a tant vanté le potentiel émancipateur, est en réalité d’essence coloniale. C’est sur cette base que se monte, en 1998, le collectif de pensée Modernité/Colonialité. Autour de chercheurs latino-américains comme le sémiologue argentin Walter Mignolo, le sociologue portoricain Ramón Grosfoguel, le philosophe argentin Enrique Dussel ou encore le sociologue péruvien Aníbal Quijano, le collectif porte l’idée que la domination occidentale sur les autres parties du monde s’est exercée et continue de s’exercer par le biais d’une imposition, de la rationalité technoscientifique, création moderne par excellence. Face à elle, il conviendrait de réhabiliter les visions du monde et les formes de savoir des peuples indigènes, d’aller chercher dans les mythes, folklores, religions et autres « cosmovisions » de quoi s’opposer à cette « épistémè » dominante, condition nécessaire à la libération réelle – et non plus seulement formelle – des groupes subalternes. Ces penseurs, peu connus en France, ont influencé les Indigènes de la République (...).

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