« Au-delà du mensonge propagandiste »
Recension de La Fabrique du complot de Miguel Chueca par Charles Jacquier dans À contretemps.
Durant la dernière décennie du XXe siècle, toute personne intéressée par la question du fascisme pouvait se référer à un imposant Dictionnaire historique des fascismes et du nazisme de Serge Bernstein et Pierre Milza [1], deux éminents professeurs à l’Institut d’études politiques de Paris et spécialistes reconnus d’histoire contemporaine. Il comportait une entrée sur l’incendie du Reichstag du 27 février 1933. On pouvait y lire que, durant l’automne 1933, lors du procès des incendiaires présumés devant la Cour suprême de Leipzig, « Dimitrov retourna l’accusation contre les nazis en dénonçant […] une provocation policière destinée à permettre l’étouffement de la gauche. L’événement servait si bien les intérêts d’Hitler et de son régime que cette thèse a été longtemps considérée comme reflétant la réalité des faits. Elle est aujourd’hui remise en cause par certains historiens allemands qui considèrent que l’incendie du Reichstag ne résulte pas d’un quelconque complot mais constitue un acte isolé commis par le déséquilibré Van der Lubbe [2] ». Le propos, on le voit, ne brille ni par la rigueur ni par la précision. Qui sont ces « certains historiens allemands » ? Mystère ! S’agit-il de Fritz Tobias, cité dans les sources aux côtés de Charles Bloch et d’Édouard Calic ? Si c’est le cas, il faut rappeler que le livre de Tobias, Der Reichstagsbrand. Legend und Wirklichkeit, a paru en 1962, et n’a jamais été traduit en français, alors que ce dictionnaire est publié trente ans plus tard. Pourquoi dire que la thèse initiale a été remise en cause « aujourd’hui » ? Ne s’est-il rien passé à ce sujet entre 1962 et 1992 ? Y-a-t-il eu complot ou non ? Autre mystère ! La perplexité s’accroît encore quand, après ces improbables considérations, on lit, à l’entrée « Goering » du même dictionnaire, que l’incendie du Reichstag a été « peut-être provoqué à son initiative [3] ». Acte individuel d’un « déséquilibré » ou provocation de Goering, il faudrait savoir et manifestement ce dictionnaire à l’apparence de sérieux ne peut, ou ne veut, trancher.
Qu’en est-il aujourd’hui ? En février 2023, une émission de France Inter évoque l’incendie du Reichstag.La transcription indique : « Nous sommes le soir du 27 février quand l’incendie se déclare. Hitler dine chez Goebbels. Son hôte, joint au téléphone une première fois, semble ne pas croire à la nouvelle qu’il ne communique à Hitler qu’après le second coup de fil. Ce qui semble accréditer l’idée que les deux hommes n’ont pas préparé l’évènement. Ils arrivent sur place après Goering qui, lui, peut avoir eu sa place dans un complot. » Ici aussi, trente ans après notre dictionnaire, l’incertitude domine jusque dans les termes employés : d’un côté, « il semble » que Goebbels et Hitler ne soient pas au courant ; de l’autre, Goering « peut avoir sa place dans un complot ». Mais, y-a-t-il oui ou non complot, le brillant journaliste ne nous le dit pas directement mais le sous-entend. Quant à Van der Lubbe, il n’est pas mieux traité que dans le dictionnaire puisqu’on nous explique qu’il « se jette presque dans les bras de la police. D’ici peu d’heures, il dira qu’il est communiste, d’une variété très individualiste voire névrotique ». On admirera la qualité de l’analyse qui invente pour l’occasion un communisme individualiste à tendance névrotique appelé à bouleverser les sciences politiques, sans parler de ce que suggère cette phrase où Van der Lubbe « se jette presque » dans les bras des policiers. Ces ambiguïtés et ces imprécisions, pour ne pas dire ces inepties, se retrouvent également sur le site de l’Institut national de l’audiovisuel et sur plusieurs sites de vulgarisation historique [4] (...).
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