15/01/24

« Une belle échappée »

Recension de Rue du Havre de Paul Guimard par Christophe Goby dans Marsactu.

L’année commence bien. La réédition de Rue du Havre est comme des étrennes qui tombent quand on ne s’y attend plus.  Comme une augmentation de salaire, quand le compte en banque est à zéro, comme une vieille tante châtelaine qui clamse et vous laisse à regret son pactole.

Comme cette couverture stylisée de la collection Paris Perdu.( Ateliers des Grands Pêchers encore eux…et Cédric Biagini pour le travail) est un régal pour les yeux. Le nom de Paul Guimard n’évoque plus rien pour les contemporains mais pour ceux, qui comme moi, ont vécu dans l’autre siècle, c’est la couverture poche de l’Ironie du sort qui me revient à l’esprit. Plus connu pour les Choses de la vie adapté au cinéma par Claude Sautet, Paul Guimard vécut avec Benoite Groult et ses enfants dont Blandine de Caunes qui signe une préface réjouissante sur le bonheur de l’enfance. Je vous laisse découvrir ce qu’elle raconte de ce livre. Voila une préface qui donne envie de lire la suite, dirons nous gaiement. Et ce n’est pas commun.

Alors qu’est ce que la littérature de Paul Guimard? C’est un peu comme ces films des années 60 où une voix off raconte avec empressement la vie parisienne tandis que la caméra explore les rues grises de Paris. On y voit des autos, des Dauphines ou des DS puis des gens qui lisent les journaux au feu rouge. On entre dans des cafés et on reste au comptoir. On s’attend à entendre ” Si tu me payes un verre” de Bernard Dimey. (Sa fille fait un joli spectacle sur son père. On pouvait la voir à Avignon cet été.)Voyez les adaptations des romans de René Fallet comme Paris au mois d’aout. Paul Guimard c’est aussi ça. C’est écrire du roman populaire qui raconte la vie des gens ordinaires. Bien plus que raconter Paris, son livre est une réflexion sur la vie. Ainsi Julien Legris (nom prédestiné) qui semble avoir regardé passer son existence sur une péniche dérivante est ressuscité par François qui lui offre un emploi de Père Noël. Paul Guimard use et abuse des métaphores liquides et maritimes pour évoquer le mouvement des corps dans Paris. ” Le quartier Saint Lazare est soumis aux marées.”C’est toujours bon signe quand un homme voit dans le déplacement des corps, celui du liquide. Il y a quelques pages sur le vin d ‘Anjou qui réjouissent quand on voit l’injonction au Dry January recommencé cette année. Bien qu’ami de Blondin ou Vidalie, il n’y a pas dans ce roman l’ombre d’une scène d’amitié suscité par l’alcool. Pire: “Julien fut conçu au vin d’Anjou. Néanmoins Julien ne put prétendre à la condition d’enfant martyr.” Mais il y a le steak minute, la café express dont on on hume l’odeur dans les pages à la blancheur immaculée. Il y a ce café en face de la prison: “On est mieux ici qu’en face. Pour les gardiens ce bistrot est à trente mètres. pour les prisonniers, il est à trente mètres et un an...”Pourtant je n’ai cessé de penser aux Vieux de la Vieille, écrit par Audiard. Serait ce à cause de cet arrêt à Angkor entre Etampes et Pithiviers? Serait ce à cause de la présence indiscutable des trains et des gares dans les histoires d’amour de l’époque. Les rendez vous se donnent dans les gares dans les années 50. Les couples s’y séparent ou y pleurent sur un quai rempli de monde, le chagrin noyé dans la foule.

La vie parisienne ne serait rien sans les pensées presque philosophiques de l’auteur: ” On devient malheureux mais on nait solitaire.” Réjouissant. Pourtant ce roman comme son précédent est d’un grand comique. Le chapitre consacré à Catherine, la jeune comédienne sous emprise du cinéma télescope l’actualité mais Guimard va très loin dans la dénonciation. Pour plaire à son producteur, elle va accepter de changer de visage, de coucher, de se faire limer les dents, en bref de renier tout ce qu’elle est, au grand dam de sa famille. Paul Guimard n’accable pas la pauvre fille mais va au delà du grotesque pour dénoncer les risques du métier ou les lumières du spectacle. On en rit, on en pleure. Ce dernier chapitre est tristement hilarant.

Le passé est pour nous qui relisons ce livre de 1957 une madeleine de Proust. Tenez, prenez le gardien de square, espèce disparue comme le tigre de Tasmanie. N’est il pas beau dans son caporalisme, “le soupçon en bandoulière“quand il traque l’arête de hareng dans son parc à enfants. Celui ci aurait mérité de contrôler des attestations de confinement.

Paul Guimard s’en prend habilement aux formules toutes faites: “L’exactitude est la politesse des salariés”pour François embauchant Julien. Faut il en conclure que les nouveaux rois sont les salariés ou que l’exactitude est malheureusement la condition de cette mécanique humaine du travail. Car le sous jactant ce n’est pas une critique du travail qui est démontrée mais une attaque des faux semblants, une romance qui montre les ratés de la vie comme s’ils pouvaient s’imaginer en regardant de sa fenêtre la vie désastreuse de ses congénères.

Une belle échappée avec un livre souple, facile en main, un papier agréable, une post face composé d’un entretien avec Albert Vidalie. Que demande le peuple?

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