11/01/24

« Roland Cros : "Si l’artiste prend la parole, c’est pour affronter la brutalité des temps" »

Entretien avec Roland Cros, auteur de L'Incorrigible, par Léonard Barbulesco-Vesval dans Le Comptoir.

Dans le roman graphique intitulé « L’Incorrigible. Itinéraire d’un bagnard ordinaire » (L’Échappée, 2023), l’auteur, Roland Cros, nous plonge, sans recourir à un seul mot, dans l’histoire fictive de son homonyme, Louis Cros, un Tarnais de la fin du XIXe siècle qui a réellement été condamné au bagne pour deux larcins. C’est à travers 90 gravures que nous suivons son destin, de son premier délit effectué dans le Tarn, à son décès au sinistre bagne de Guyane. Entre 1854 et 1938, ce sont en effet près de cent mille condamnés français ou venus des colonies, qui ont subi le même sort. La fin du XIXe siècle correspond en cela à l’apogée des bagnes coloniaux, c’est-à-dire ces institutions d’enfermement créés sous le Second Empire, avec pour objectif de punir et éloigner de la métropole les indésirables. Pour approfondir notre compréhension de cette œuvre d’art originale, qui nous pousse dans nos retranchements émotionnels et nous interroge profondément sur le sens de l’art, nous nous sommes entretenus avec son auteur.

Le Comptoir : Pouvez-vous nous retracer la généalogie de votre livre et nous expliquer l’origine de votre intérêt pour les bagnes coloniaux ?

Roland Cros : L’image première de l’univers carcéral remonte à mon enfance. Je suis originaire d’Albi dans le Tarn, où il existait une vieille prison, datée du XIXe siècle, dans le centre de la ville, qui était en cours de démolition lorsque j’étais enfant. Quand j’avais dix ans mon père me l’a faite visiter. Cette visite a donné lieu à des images traumatiques, des images qui sont restées gravées dans ma mémoire et dans mon inconscient. Depuis ce jour, les lieux de l’enfermement m’ont toujours à la fois fasciné et indigné.

Quant au choix du personnage de mon roman graphique, cela remonte à quelques années. Au cours de recherches sur le site des archives d’outre-mer, j’ai saisi mon patronyme dans la base de données. Il s’est avéré que de nombreux bagnards portaient mon nom, dont l’un partageait aussi le prénom de mon père. Bien que des vérifications aient exclu tout lien de parenté avec ma famille, ce hasard a éveillé mon intérêt. Louis Cros dit Minel, choisi presque au hasard, aurait pu être mon ancêtre. C’est ainsi que j’ai décidé d’adopter, en quelque sorte, cet homme dont je partage le nom.

Je me suis ensuite rendu aux archives d’outre-mer à Aix-en-Provence pour explorer l’intégralité de son dossier. À la lecture de ce dossier très succinct, probablement jamais consulté auparavant, j’ai découvert une histoire captivante, une trame narrative qui contenait la matière à un récit (...).

Pour lire la suite : www.comptoir.org/2024/01/11/roland-cros-si-lartiste-prend-la-parole-cest-pour-affronter-la-brutalite-des-temps

Roland Cros