29/02/24

« Lire partout, lire surtout »

Recension d'Une Rage de lire de Thierry Maricourt par Alexandre Chollier dans Le Courrier.

ne rage de lire1. Avec un tel titre tout est dit, à la fois sur le livre que vous tenez entre les mains et sur la collection des éditions de L’Echappée qui l’accueille: «Le peuple du livre». Celle-ci ne pouvait démarrer de plus belle manière, car qui d’autre que la lectrice ou le lecteur représente mieux ce peuple?

Trop souvent les histoires du livre se confondent avec une histoire de l’écriture, comme si la lecture n’était que seconde alors que sous bien des aspects elle est première. Il n’y a qu’à penser à l’art d’écrire qui ne peut être enseigné qu’après un autre, celui de lire.

Dans sa brève mais instructive histoire de la lecture2, Ivan Illich rappelle combien celle-ci doit à ce XIIe siècle où le livre «prend peu à peu la forme que nous lui connaissons, grâce à une bonne douzaine d’inventions techniques: amélioration de la ponctuation, retraits, insertions de titres […]», etc. Un siècle où se généralise par ailleurs la lecture silencieuse, à travers laquelle une personne lit un livre par et pour elle-même.

Désormais avant de lire pour autrui, on lit pour soi, sans même remuer les lèvres. Mais pour cela faut-il encore de l’espace: de l’espace entre les mots, afin de bien les reconnaître, les uns après les autres; de l’espace entre les phrases, histoire de les soupeser sans crainte de les laisser s’échapper; de l’espace entre les paragraphes, pour ne pas se perdre, et, qui sait, s’appuyer sur eux afin d’aller plus loin, et s’évader hors de la page.

Mais revenons à ce livre que vous êtes en train de feuilleter et de humer par mon entremise – cette odeur d’encre fraîche, reconnaissable entre toutes. Oui, revenons à ce livre et rappelons-nous qu’avant l’art il y a, du moins chez certains ou certaines, la rage. Une rage de lire, surtout lorsqu’on n’a qu’un seul désir, «pratiquement irréalisable, complètement déraisonnable, utopique: être écrivain».

Tel fut le cas du jeune Michel Ragon (1924-2020) dont la formidable histoire est contée par un non moins formidable Thierry Maricourt. J’écris deux fois «formidable» car il me semble qu’ici, vis-à-vis de son sujet – Michel Ragon en chair et en os, ou plutôt en pages, colonnes et caractères typo –, le biographe est avant tout un pair. Face à l’autodidacte Ragon, il montre d’ailleurs qu’en matière d’autodidaxie il ne cède en rien ou presque, lui qui a été successivement, comme le dit la quatrième de couverture, «ouvrier d’imprimerie, bibliothécaire, libraire, éditeur…» ainsi bien sûr qu’auteur.

Prenez-en de la graine et regardez comment, sous sa plume, Michel, le gamin, surgit de la page: «Il ne sera ni militaire ni bourrelier.

Lira. Ecrira. Exercera mille métiers manuels ou intellectuels, d’abord du bas de l’échelle. Se faufilera. Creusera sa place. Avec ce leitmotiv: vivre de sa plume.» (...).

Pour lire la suite : www.lecourrier.ch/2024/02/29/lire-partout-lire-surtout

Thierry Maricourt