13/12/23

« La technologie sauvera-t-elle la planète ? »

Entretien avec François Jarrige, auteur d'On arrête (parfois) le progrès, par Coline Renault dans Charlie Hebdo.

Croire que la science peut tout, cela s'appelle le « technosolutionnisme ». Voilà la petite chanson du progrès qui guide nos sociétés depuis plus de deux siècles, ce qui pourrait, paradoxalement, détruire définitivement la planète.

Aux écoanxieux s’opposent ceux qui ne nourrissent aucune crainte concernant l’avenir : ces derniers croient en la technologie comme on croit en Dieu, une force suprême qui viendrait nous sauver de l’apocalypse annoncée. Parmi eux, le climatosceptique Laurent Alexandre, fondateur du site Doctissimo, ou Luc Ferry, ancien ministre de l’Éducation nationale. Ils considèrent que les technologies qui vont changer la mécanique de destruction du monde n’ont pas encore été inventées. Elles pourront aisément endiguer le réchauffement climatique et fournir à volonté de l’énergie moins chère, et plus propre. Cette conviction porte un nom : le « techno­solutionnisme ». Le problème, c’est que la création sans fin de nouvelles technologies conduit avant tout à légitimer nos modes de vie et, surtout, à ne rien changer. Quitte à détruire inévitablement la planète. Entretien avec l’historien François Jarrige, auteur d’On arrête (parfois) le progrès. Histoire et décroissance (éd. L’Échappée, 2022).

Charlie Hebdo : La science ne peut-elle régler des problèmes comme le réchauffement climatique ?

François Jarrige : La science climatique acquiert certes une place centrale dans la recherche, mais elle est elle-même prise dans le technosolutionnisme. Puisqu’on ne peut pas réduire les émissions carbone, on invente des mirages technologiques pour continuer comme avant. On ensemence les océans, on capte le carbone, on injecte du soufre dans l’atmosphère. Cela n’endigue pas les phénomènes multiples comme l’acidification des pluies, l’épuisement des sols et la destruction de la biodiversité, et cela permet surtout de ne rien changer à nos habitudes de consommation aux conséquences multiples et irréversibles.

D’autant que la technique, dans les faits, ne limite pas la consommation…

Dès 1865, l’économiste britannique William Stanley Jevons avait pointé ce paradoxe : en améliorant les rendements des machines, on démultiplie les opportunités d’usage de chacune d’entre elles. Si bien qu’in fine la consommation d’énergie augmente, malgré les améliorations de chaque équipement individuel. C’est ce qu’il s’est passé avec la voiture : dans les années 1970, les constructeurs automobiles ont promis que, d’ici à 2000, il n’y aurait plus de problème avec la consommation d’énergie fossile car les moteurs seraient extrêmement efficients, ne consommeraient plus que 1 litre aux 100 km, etc. Or, aujourd’hui, on consomme davantage de pétrole qu’avant, car les voitures sont plus lourdes, plus rapides, les distances se sont rallongées et le nombre de véhicules sur le marché a explosé. Ce ne sont pas des problèmes d’efficacité, mais de seuil et d’usage, et donc d’organisation sociale collective. Si vous avez 100 000 voitures qui polluent, c’est moins grave que 35 millions qui polluent un peu moins (...).

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