10/08/20

« N’en déplaise aux multinationales et aux gouvernants, l’avenir est à la relocalisation »

Entretien avec Pierre Bitoun et Yves Dupont, auteurs du Sacrifice des paysans, réalisé par Ella Micheletti pour Voix de l'Hexagone.

Pierre Bitoun, sociologue et ingénieur d’études à l’INRA, et Yves Dupont, chercheur à l’INRA puis professeur émérite de socio-anthropologie à l’Université de Caen, sont notamment les auteurs du Sacrifice des paysans, une catastrophe sociale et anthropologique (L’Échappée, 2016). Face à ce qu’ils estiment être un ethnocide, ils ont accepté de répondre aux questions de Voix de l’Hexagone.

Propos recueillis par Ella Micheletti.

Voix de l’Hexagone : Le précédent ministre de l’Agriculture, Didier Guillaume, a ordonné en juin dernier la suspension immédiate de l’agrément de l’abattoir ovin de Rodez, après la diffusion d’une vidéo de L214. Selon vous, les actions de ce type d’associations militantes peuvent-elles permettre d’ouvrir la voie à une amélioration globale de la condition animale, thème aujourd’hui central pour le monde agricole ?

Pierre Bitoun et Yves Dupont : Pour répondre à votre interrogation, il est nécessaire de faire comme souvent un peu d’histoire hexagonale, mais qui vaut également pour bien d’autres pays. La dénonciation des mauvais traitements infligés aux animaux, qu’elle porte sur les conditions de leur élevage ou de leur abattage, est en effet une question déjà ancienne, liée au mouvement général d’industrialisation des productions agricoles et animales qui n’a cessé de s’accélérer depuis 1945. On distingue assez aisément deux périodes, auxquelles correspondent des types différents de critiques et de résistances. Elles cohabitent de nos jours, dans un méli-mélo qui mérite quelques éclaircissements car s’y manifestent d’importants clivages, d’idées et de pratiques, difficilement dépassables.

La première, qui s’amorce dans les années 1960 et surtout 1970, intervient dans une France largement imprégnée de culture paysanne, rurale et où le système de polyculture-élevage, bien que déjà mis à mal, est encore vivace. Principalement portée par les courants de paysans-travailleurs – qui créeront dans les années 1980 la Confédération paysanne – et sous-tendue par une histoire plurimillénaire de relations entre le paysan et l’animal, la critique est alors globale : c’est, de façon conjointe, l’ensemble des ravages sur l’homme et l’animal produits par le développement rapide d’« ateliers de production » spécialisés qui sont dénoncés. La dépendance de l’éleveur vis-à-vis des firmes d’amont et d’aval, l’inhumanité de sa condition à la tête de ces ateliers, les méfaits dont pâtissent les animaux enfermés dans ces élevages toujours plus grands et intensifs, forment un tout, inséparable d’une remise en cause du productivisme capitaliste. Le livre de Bernard Lambert, Les paysans dans la lutte des classes (Seuil, 1970), le film Cochon qui s’en dédit de Jean-Louis Tacon (1979) sont, parmi bien d’autres exemples, d’excellentes illustrations de cette critique à la fois holiste, anticapitaliste et politique. Bien qu’insuffisamment comprise, à l’époque, par la majorité de la population, elle a irrigué par la suite le mouvement altermondialiste, rallié à elle des franges croissantes de la population rurale et urbaine, et elle représente ainsi un héritage vivant de réflexions et de combats pour une société postcapitaliste et postproductiviste. D’où seraient bannis autant l’homme transformé en ressource humaine que l’animal devenu machine à produire.

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Pierre Bitoun
Yves Dupont