« D’une enfance russe au socialisme yiddish : Vladimir Medem, "légende du mouvement ouvrier juif" »
Recension d'Histoire générale du Bund d'Henri Minczeles par Constance Pâris de Bollardière dans La Revue K.
Cette année marque le centenaire de la mort de Vladimir Medem (1879-1923), grand théoricien du Bund et de la question nationale juive dans l’Empire russe, théorisée dans le cadre des débats de l’internationalisme socialiste. Vladimir Medem s’est distingué par ses écrits et ses activités politiques mais aussi par la singularité de son parcours personnel, sur lequel revient Constance Pâris de Bollardière, l’auteure de la préface de la récente réédition de l’ouvrage d’Henri Minczeles Histoire générale du Bund (éditions L’échappée). Les mémoires de Medem, publiés à New York en 1923, seront la trame de cette évocation.
Vladimir Medem naît en 1879 dans la ville de Liepaja (Libau), en actuelle Lettonie, mais passe son enfance et sa jeunesse dans la ville de Minsk, d’où sa famille est originaire. Ses parents et sa fratrie se convertissent tardivement au luthéranisme, Vladimir seul ayant été baptisé dans l’Église russe orthodoxe. Son père, officier et médecin dans l’armée russe, n’est cependant pas pratiquant et n’aurait pris le chemin de la conversion qu’afin de ne pas perdre son grade. Le jeune Medem n’en grandit pas moins au sein d’une culture russe déjudaïsée. A contre-courant de sa famille distante de la pratique religieuse, il développe enfant une foi chrétienne très profonde, qu’il qualifiera rétrospectivement de « fanatique et aveugle ».
De tels détails sur son enfance nous sont connus grâce aux mémoires qu’il rédige peu de temps avant sa mort, survenue à New York l’année de ses 44 ans. Publiés initialement dans le célèbre quotidien yiddish new-yorkais Forverts, ses souvenirs paraissent dans cette même ville sous forme de livre l’année de sa mort sous le titre Fun mayn lebn (Ma vie[1]). Les premières lignes de ses mémoires nous projettent d’emblée dans le rejet de sa judéité durant son enfance, attitude qui se manifeste particulièrement lorsqu’il saisit sa mère parlant yiddish :
« Comment une chose pareille est-elle possible ! Qu’une dame instruite, intelligente, la femme d’un « général » russe parle en « jargon » ! C’est scandaleux ! J’attends avec impatience le retour de mon père, car je sais qu’en sa présence, cela ne peut se produire. Effectivement, on entend ses pas, et Leyke [la vieille domestique juive] disparaît rapidement dans la cuisine. Je respire avec soulagement : la maison est de nouveau authentiquement russe » (p.19).
Ce premier chapitre témoigne de la honte de la famille Medem à l’égard de son passé juif, caractéristique d’une strate de la bourgeoisie juive russifiée :
« Ce sentiment de honte envers sa judéité, ce désir de rendre secret ses origines étaient la caractéristique de tout notre milieu. […] Enfant, j’en étais profondément imprégné. Je portais cette origine juive comme un fardeau. C’était pour moi une humiliation, une sorte de maladie honteuse qui devait rester ignorée de tous. Si des gens l’apprenaient, ils devaient, s’ils étaient bons et amicaux, faire semblant de l’ignorer, exactement comme on feint de ne pas remarquer la bosse du bossu ou la jambe d’un boiteux, afin de ne pas faire de peine à un infirme. […] Et je ne voulais pas être Juif ; je ne me considérais pas comme Juif. Tel un perroquet, je répétais comme les adultes : ‘nous sommes Russes’ » (p. 21).
Objet de sa honte enfantine, le yiddish devient pourtant dans sa vie d’adulte l’un des piliers de sa pensée politique et c’est dans cette même langue qu’il revient, près de quarante ans plus tard, sur différentes étapes de sa vie dans Fun mayn lebn. Son rapprochement du monde juif s’est opéré selon lui « imperceptiblement », au fil des ans, au gré de lectures et de liens amicaux dans un premier temps, puis bien plus distinctement dans le cadre de son activisme politique. Tout juste diplômé du lycée de Minsk, Vladimir Medem entame à la fin des années 1890 des études de médecine puis de droit à l’université de Kiev. C’est dans ce contexte qu’il fréquente rapidement des cercles socialistes russes. En 1899, sa participation active à une longue grève étudiante aboutit à son expulsion de l’université et à son premier emprisonnement. Il est reconduit à Minsk sous surveillance policière au cours de la même année (...).
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