14/12/25

« "Survivre et Vivre" : manifeste radical pour une écologie critique »

Recension de Survivre & vivre coordonné par Céline Pessis par Jean-Jacques Bedu dans Mare Nostrum.

Il est des livres qui, en documentant le passé, éclairent violemment les angles morts du présent. L’anthologie Survivre et Vivre, coordonnée par l’historienne Céline Pessis, ne se contente pas d’exhumer les archives d’un mouvement éphémère (1970-1975) né dans le sillage de Mai 1968. Elle restitue la genèse d’une critique systémique de la société industrielle, portée par une alliance improbable entre des mathématiciens d’élite (autour d’Alexandre Grothendieck), des militants de la gauche radicale et des pionniers de l’agriculture biologique. Ce volume dense retrace comment ces acteurs ont tenté, souvent dans la douleur, de désacraliser l’institution scientifique pour la remettre à sa juste place : celle d’une activité humaine, faillible et politiquement située.

L'Adieu à la neutralité

L’ouvrage s’ouvre sur la rupture avec le mythe de la « prétendue neutralité scientifique ». Dans le contexte pesant de la guerre du Vietnam et de la course aux armements, les premiers numéros de la revue Survivre dressent un constat sans appel : la recherche fondamentale, aussi éthérée soit-elle, est structurellement imbriquée dans le complexe militaro-industriel. Le texte fondateur Les savants et l’appareil militaire, issu d’un exposé de Grothendieck, dénonce la passivité de chercheurs devenus, volontairement ou non, les rouages d’une mécanique de destruction.
Mais l’intérêt du recueil est de montrer que la critique dépasse rapidement la seule question des applications militaires pour interroger la nature même du savoir moderne. La science y est décrite comme impure, dépendante de ses sources de financement et orientée par une idéologie de maîtrise du monde.

Le récit fragmenté d’un homme face à l’absurde

Massi, le narrateur, n’est pas un héros : c’est une voix qui tente de se structurer. « Frêle et blond », philosophe contrarié jeté dans la gueule du loup militaire, il incarne une figure de l’anti-virilité dans une société martiale. Mais la force du roman réside dans son dispositif narratif : cette correspondance à sens unique adressée à Jenna, la sœur exilée et mutique.
Sans être une narration linéaire, l’écriture mime le désordre psychique du protagoniste. Le texte est un flux de conscience fragmenté, circulaire, saturé de digressions et de répétitions obsessionnelles, rythmé par ce leitmotiv ironique : « Prions ». Massi écrit pour combler le vide, pour retarder l’inéluctable, transformant la lettre en un rempart de papier contre la folie. Cette structure en spirale, où le présent de l’écriture se heurte aux ressassements du passé, illustre brillamment l’impossibilité d’avancer dans un temps politique figé (...).

Pour lire la suite : www.marenostrum.pm/survivre-et-vivre-manifeste-radical-pour-une-ecologie-critique

Céline Pessis