02/01/25

« Sur la critique de la pensée décoloniale »

Recension de Critique de la raison décoloniale par Jean-Marie Harribey dans Mediapart.

« Seriez-vous content de trouver un peuple de tempérament aussi barbare, qu’explosant en atroce violence il ne vous donnerait pas d’abri, vous mettrait le couteau sous la gorge, vous mépriserait comme des chiens et comme si Dieu ne vous avait pas aussi créés, comme si vous n’aviez pas le droit de demander de l’aide, que penseriez-vous d’être ainsi traités ? Ceci est le cas de l’étranger et cela votre gigantesque inhumanité. »

William Shakespeare et co-auteurs, Sir Thomas Moore, 1595

Depuis le début du XXIe siècle, les thèses décoloniales, nées en Amérique latine, ont gagné les centres de recherche et universitaires des États-Unis, puis les européens et notamment français. Moins connus cependant en France, les auteurs sud-américains, hispanophones ou lusophones, fondateurs du courant décolonial sont peu à peu découverts et même pour certains traduits, notamment : Anibal Quijano, Enrique Dussel, Walter Mignolo, fondateurs du groupe Modernité/Colonialité », et Ramon Grosfoguel[1].

La problématique principale de ce courant est de défaire l’hégémonie politique et culturelle que le monde occidental a construite au détriment des peuples colonisés depuis 1492, considérée comme la date-clé du démarrage du capitalisme, indissolublement lié au colonialisme et au racisme, et donc à la négation et l’éradication des cultures autres. Le décolonialisme se distingue des pensées anticolonialistes et antiimpérialistes liées aux mouvements de libération au XXe siècle, et aussi de celles dites postcoloniales en réaction aux nouvelles formes de domination après les luttes d’indépendance en Inde, en Afrique, au Moyen-Orient et en Australie[2], parce qu’il va faire de la critique de la Modernité d’origine européenne le pivot de sa dénonciation.

Un temps confinée aux cercles universitaires et aux débats traversant les sciences sociales, la problématique décoloniale trouve maintenant un écho médiatique parce qu’elle peut se décliner en plusieurs thématiques. L’une d’elles est particulièrement traitée, l’écologie décoloniale, à laquelle le chercheur Malcom Ferdinand[3] a travaillé en France. Et la revue Socialter vient de publier un numéro centré sur l’écologie décoloniale[4].

Au fur et à mesure de sa diffusion en France, des critiques de la théorie décoloniale furent émises, notamment de la part d’historiens comme Pierre Vidal-Naquet, Pierre-André Taguieff, Benjamin Stora, ou de philosophes comme Jean-Loup Amselle[5]. Mais une critique radicale vient d’être publiée en français, provenant du continent latino-américain, celui-là même où est né ce courant. Sous la signature d’un Collectif, il est titré Critique de la raison décoloniale, Une contre révolution intellectuelle (Paris, Éd. L’Échappée, 2024). L’Avant-propos est signé Mikaël Faujour, et le livre rassemble les auteurs dans l’ordre suivant  : Pierre Gaussens et Gaya Makaran, Daniel Inclan, Rodrigo Castro Orellana, Bryan Jacob Bonilla Avendano, Martin Cortès, et Andrea Barriga. Plutôt que de présenter chaque auteur et son chapitre[6] dans l’ordre du livre, je regroupe les principales critiques apportées à la pensée décoloniale autour de trois thèmes : la modernité ; l’essentialisation des colonisés et des colonisateurs ; et la méconnaissance de la logique du capital (...).

Pour lire la suite : www.blogs.mediapart.fr/jmharribey/blog/281224/sur-la-critique-de-la-pensee-decoloniale