« Son texte semble être un miroir tendu à son lecteur par delà les révolutions technologiques »
Recension de La Machine s'arrête sur le site de la Bibliothèque Farenheit 451.
Avec cette nouvelle d’anticipation, écrite en 1909, E.M. Forster
(1879-1970) décrit une société dans laquelle tous les besoins, physiques comme sociaux, sont désormais satisfaits par la Machine. La surface de la Terre, n’étant plus que « poussière et boue », chacun vit désormais cloitré dans sa chambre, enterrée quelque part. La civilisation antérieure utilisait « le système pour amener les gens aux choses, au lieu d’amener les choses aux gens ». « Les hommes partaient pour changer d’air plutôt que de changer l’air de leur chambre. » « Ni le jour ni la nuit, ni le vent ni la tempête, ni les marées ni les tremblements de terre n’entravaient l’homme à présent. Il avait attelé le Léviathan. Toute l’ancienne littérature, avec son éloge et sa crainte de la Nature, sonnait aussi faux que le babil d’un enfant. » Un jour, pourtant, il semble que la Machine commence à s’arrêter.
Alors que Vashti vénère la Machine à qui elle délègue l’organisation de toute son existence, et se complait dans ce « meilleur des mondes », comme tous ses contemporains, elle reçoit un appel de son fils, Kuno, qui souhaite qu’elle le rejoigne, elle, qui ne quitte jamais plus sa chambre. Il va lui annoncer qu’il a réussi à rejoindre l’extérieur, à échapper à l’emprise de la Machine…
Avec une lucidité troublante, E.M. Forster décrit une société hyperconnectée et totalement dépendante d’infrastructures démesurées, qui n’est évidemment pas sans évoquer la notre, plus encore à l‘heure où les contacts humains s’amenuisent et les relations virtuelles sont encouragées. Il dénonce une confiance absolue et irresponsable en la technique, une rupture totale avec le monde naturel. Il raconte aussi les pannes successives jusqu’à l’inévitable effondrement et ses conséquences sur une humanité complètement dépendante, chaque appareil étant devenu une pièce, une extension de la Machine. Inquiet face aux innovations technologiques pour lesquelles le monde s’enthousiasmait, en ce XXe siècle naissant, il a pressenti les menaces que leur développement pouvait entraîner, et décrit une société dans laquelle l’humanité a perdu le contrôle, s’est d’elle-même soumise aux machines.
Son texte, non seulement n’a pas pris une ride, mais semble être un miroir tendu à son lecteur par delà les révolutions technologiques, dans l’espoir qu’il soit réceptif à l’optimisme de Kuno : « L’humanité a retenu la leçon ».
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