« Séverine, la cause du peuple »
Recension de L'Insurgée de Séverine sur Agora Vox.
Ardente défenseuse des déshérités de ce monde comme des animaux, Caroline Rémy (1855-1929), dite Séverine, a été l’une des pionnières du journalisme de combat et l’une de ces grandes figures des mouvements révolutionnaires, cristallisant les fantasmes d’une société en mutation.
Séverine était sans doute la journaliste la plus célèbre de son temps, peinte et photographiée par d’innombrables artistes dont Renoir (1841-1919) ou Nadar (1820-1910), quand bien même elle se moquait de la célébrité comme de sa postérité, ainsi qu’elle l’écrivait le 7 octobre 1922 dans Le Cri du Peuple : « Journalistes, nous sommes pareils aux feuilles des arbres que le printemps voit naître et que l’hiver voit expirer... De quelle importance est cela, si nous avons donné notre parcelle d’ombre, de fraîcheur et d’abri. »
D’innombrables cartes postales furent éditées, la montrant sur son balcon parisien du boulevard Montparnasse ou dans sa maison de Pierrefonds. D’elle, sa consoeur Gabrielle Réval (1869-1938) disait : « J’aime Séverine de tout mon coeur, j’admire en elle la forme la plus généreuse, la plus noble, la plus émouvante du génie féminin. »
Séverine a mis le peuple à la Une de la presse comme d’autres l’ont fait entrer dans le champ esthétique de la littérature. Elle naît Caroline Rémy le 27 avril 1855 à Paris dans un milieu plutôt favorisé. Son père est inspecteur des nourrices à la préfecture de police. Il « la marie » d’autorité, le 26 octobre 1872, alors qu’elle a dix-sept ans, à Antoine-Henri Montrobert, un employé du gaz trentenaire. L’union dure un peu plus d’un an et se solde par une séparation de corps et de biens. Mais la loi autorisant le divorce, abrogée en 1816, n’est rétablie qu’en 1884...
En 1878, la belle Caroline exerce la fonction de lectrice chez Mme Guebhard, une riche veuve suisse résidant à Neuilly dont le fils, Adrien (1849-1924), jeune professeur de médecine, succombe au charme de la jeune sirène à la luxuriante chevelure. Enceinte de ses oeuvres, elle donne naissance à leur fils, Roland (1879-1929), dans les premiers jours de l’année 1879 à Bruxelles. C’est là qu’elle rencontre Jules Vallès (1832-1885), le communard proscrit que la loi d’amnistie du 12 juillet 1880 autorise à rentrer. Ils veulent travailler ensemble mais l’inflexible père de Caroline s’y oppose. Alors, elle s’assied à son bureau et rédige ce billet à Vallès : « Je meurs de ce qui vous fait vivre : de révolte. Je meurs de n’avoir été qu’une femme, alors que brûlait en moi une pensée virile et ardente. Je meurs d’avoir été une réfractaire. »
Et elle se tire une balle de revolver dans le coeur. Mais la balle passe juste à côté. Pas le message à la famille... Après sa convalescence, elle collabore au journal de Vallès, Le Cri du Peuple, relancé en 1883 grâce au soutien financier d’Adrien. Ainsi, le 23 novembre de cette année-là, elle choisit, en tant que « compagne d’un bailleur de fonds », un « métier d’homme » immortalisé par le Bel Ami de Maupassant (1850-1893). Elle signe d’abord « Séverin » et prend Jules Ferry (1832-1893) comme première cible avant de féminiser son nom de plume et de combat en « Séverine ». A la mort de Vallès, le 14 février 1885, elle prend la direction du Cri du Peuple, devenant ainsi la première femme journaliste à diriger un quotidien national dont le tirage dépasse parfois cinquante mille exemplaires.
Affirmant la Révolution comme une nécessité économique, le journal accompagne la lente émergence d’une conscience de classe dans le monde ouvrier. Celle-ci est éveillée aussi par des oeuvres littéraires comme Germinal (1885) d’Emile Zola (1840-1902) ou les romans de cape et d’épée de Michel Zevaco (1860-1918), un disciple de Vallès, alors que le chef d’oeuvre de Huysmans (1848-1907), A Rebours (1884) ouvre La Belle Epoque – pas belle, précisément, pour ceux dont Séverine défend la cause... (...).
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