« Raviver les flammes de la contestation »
Recension de Brasero n°3 par Léonard Barbulesco-Vesval dans Le Comptoir.
Pour son troisième numéro, la revue annuelle de contre-histoire, Brasero, éditée par la maison d’édition L’Échappée, nous gratifie une nouvelle fois de passionnants éclairages historiques sur des thèmes souvent délaissés par la vulgarisation historique. Fidèle à sa philosophie contestataire et libertaire, la revue propose ainsi « d’éclairer l’histoire de manière oblique, en privilégiant […] les marges, les personnages et personnages obscurs, oubliés ou méconnus ».
C’est d’abord dans l’histoire incarnée et décentrée des rébellions et révolutions, menées par des acteurs subalternes que nous entraîne la revue, à travers notamment la présentation de Tupac Amaru II, Inca du XVIIIe siècle, opposé à la domination de l’empire espagnol et précurseur de l’indépendantisme péruvien. Nous retrouvons cette fibre anticolonialiste de la revue dans la mise en exergue de Lucie Cousturier (1876-1925), femme peintre néo-impressionniste et écrivaine décolonialiste, luttant courageusement pour les droits des Africains. Pensons aussi à la réhabilitation d’Henry Salt (1851-1939), socialiste, pacifiste et précurseur de l’animalisme, injustement jeté aux oubliettes de l’Histoire, alors même qu’il aurait sa place aux côtés des précurseurs de l’écologie tels que Elisée Reclus ou Henry David Thoreau. Une attention doit être portée à Angelica Balabanova première secrétaire de la Troisième Internationale en 1919, dont la trajectoire biographique, résolument transfrontalière, à l’engagement sans faille, interpelle les passionnés de l’histoire du mouvement ouvrier. Plus connue, la figure de Louise Michel est aussi abordée, mais cette fois-ci dans une dimension beaucoup plus intime, mais non moins intéressante : sa tumultueuse vie sentimentale.
Les phénomènes obscurs sont également traités, à l’instar des camps de concentration, lors de la Première Guerre mondiale, organisés pour y enfermer les opposants pacifistes et libertaires, et dont les terribles conditions d’internement sont désormais mieux connues grâce à l’exhumation récente d’un témoignage d’un ancien détenu. Toujours dans le registre de l’anti-monde, est aussi abordé le vécu des courtisanes japonaises sous l’ère Edo (1603-1868) ; une entrée dans le monde de la prostitution, magnifiquement illustrée par des estampes japonaises de l’époque, qui permet de nous sensibiliser aux expériences de ces femmes, à la fois source de fascination et de rejet moral.
Enfin, la fibre techno-critique de la revue se révèle également à travers la brillante et pédagogique présentation de la pensée anti-machiniste de l’auteur socialiste britannique de la fin du XIXe siècle, John Ruskin. Une incise plus contemporaine est proposée avec une étude critique de la modernisation, et de l’intégration forcée à la mondialisation de la Birmanie, depuis les années 2010.
Servie par une iconographie haute en couleur et particulièrement immersive – très rare dans le champ éditorial actuel – Brasero réveille le feu du sentiment révolutionnaire par la dignification des acteurs et actrices en lutte, parfois bien isolée, contre l’injustice de leur temps. Plus largement, elle (re)donne une voix aux oubliés de l’Histoire, inscrivant ainsi de la recherche historique, lorsqu’elle est réalisée avec déontologie et rigueur, dans une démarche éthique salutaire, à l’ère de l’indifférence généralisée (...).
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