« Présidentielle : et si la quête du confort était la seule idéologie à faire consensus ? »
Recension d'Homo confort de Stefano Boni par Elena Scappaticci dans Usbek & Rica.
L’ÉDITO / Il n’est pas courant, a priori, d’associer le gain de confort dans nos vies, acquis social majeur des dernières décennies par bien des aspects, à la notion d’idéologie. Et pourtant ! Politiser la question du confort, c’est aussi pouvoir se donner la chance de limiter les dégâts – aussi bien moraux que physiques et écologiques – de ses déclinaisons contemporaines les plus absurdes.
Aussi loin que remontent mes souvenirs d’enfance, ma grand-mère italienne, aujourd’hui âgée de 86 ans, a toujours eu un rapport d’amour/haine avec sa télécommande. Vous savez, cet objet désormais totalement intégré dans le quotidien des Français, qui en possèdent en moyenne quatre ou cinq et qui a longtemps incarné le confort promis par le progrès technique. Le premier écran de télévision a débarqué chez ma grand-mère dans les années 1970. La télécommande, une dizaine d’années plus tard. Nous sommes en 2022, et ma grand-mère continue de casser sa télécommande dès qu’elle y touche, de l’injurier – avec des expressions italiennes que je tairai pour préserver votre pudeur – et, surtout, elle continue de faire les quelques mètres qui la séparent de l’écran de son téléviseur et de son décodeur dernier cri pour l’allumer ou changer les chaînes, malgré sa condition physique très dégradée.
Si je vous parle de ma grand-mère et de son rapport totalement névrotique à sa télécommande, c’est parce que j’ai eu plusieurs fois l’occasion de m’interroger, en l’observant, sur le fossé anthropologique qui la séparait de ses petits-enfants – en particulier dans son rapport au confort. Je n’ai même pas essayé d’expliquer à ma grand-mère, qui faisait près de dix kilomètres à pied, chaque matin, pour aller à l’école – quel que soit le temps ou la saison – que le smartphone que je possède me permet, depuis mon canapé, en quelques gestes du pouce, de me faire livrer mes courses en dix minutes, de recevoir en l’espace d’une journée un livre introuvable ou même d’organiser un « rendez-vous galant » en quelques heures. C’est tout bonnement inintelligible pour elle. André Leroi-Gourhan, dans Le Geste et la Parole, écrit « qu’un observateur qui ne serait pas humain (…) séparerait l’homme du XVIIIe siècle et celui du XXe comme nous séparons le lion du tigre, ou le loup du chien. »
La « pesanteur des choses »
On pourrait aller beaucoup plus loin dans l’analyse en séparant « l’homo confort » – l’expression est de Stefano Boni, dans son essai éponyme, paru aux éditions L’Echappée le 8 avril dernier - des années 1960 de celui des années 2020 tant l’introduction du smartphone et des plateformes a radicalement reconfiguré notre rapport au corps, au temps ou à l’espace. À tel point que, pour reprendre la très belle formule de Stefano Boni, l’immense majorité d’entre nous ne faisons plus l’expérience de « la pesanteur des choses » (...).
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