« Pause séries : petit traité de chronophagie »
Recension de Vide à la demande de Bertrand Cochard par Thomas Sotinel dans Le Monde.
Dans son livre « Vide à la demande », Bertrand Cochard tente d’appréhender l’emprise des séries sur le temps libre.
Même en terminale (c’était il y a très longtemps), je n’avais pas fait autant de philo. Depuis que je me suis aventuré sur le terrain des séries, début 2020, je croise aussi souvent Platon, Spinoza, Debord et Stanley Cavell que Jon Hamm, Patricia Arquette, David Simon ou Shonda Rhimes.
La forme épisodique déclenche un torrent d’assertions et de spéculations chez les penseurs contemporains qui se sont emparés des séries. Ce sont eux qui, pour parler de Game of Thrones, Mad Men ou Sex Education, convoquent leurs illustres prédécesseurs. L’emprise croissante des plates-formes de streaming sur le temps libre, l’apprentissage express de la forme sérielle pendant la pandémie ne sont pas pour rien dans la fortune philosophique des séries, d’autant qu’en cent vingt ans d’existence, le cinéma avait largement eu le temps d’épuiser son pouvoir de séduction.
Dernier effort en date, Vide à la demande, de Bertrand Cochard, remonte vigoureusement le courant qui voit dans les séries un instrument privilégié de compréhension, voire de transformation de notre monde. On devine que le livre procède de l’exaspération qui peut elle-même naître à la lecture d’un éloge de 24 Heures chrono, qui devient, à travers les lunettes roses de certains exégètes, un éloge de la démocratie américaine, ou de la défense de Desperate Housewives, vu comme un manifeste féministe (alors que l’on peut tout aussi bien défendre que le premier est une apologie de l’exceptionnalisme et de la primauté de la fin sur les moyens et que le second est avant tout destiné à enjoliver, à force de turpitudes, le vide de l’existence de ses protagonistes et de son public) (...).
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