06/01/25

« Notre "Belle Époque à nous »

Recension du Temps des révoltes d'Anne Steiner par Charles Reeve dans Lundimatin.

« Le rappel de ces événements, de cette atmosphère d’insurrection sociale, renvoie immédiatement l’esprit du lecteur aux images de révoltes de notre présent récent. Pourtant, Le Temps des Révoltes, auquel nous introduit avec passion Anne Steiner, n’est pas celui des Gilets Jaunes ni celui de quelques groupes légitimement énervés par l‘état inacceptable du monde et la prépotence de ses maîtres, mouvances opportunément classées par la police et les médias comme « radicalisées », voire « terroristes ». C’est le temps des manifestations ouvrières du début du XXe siècle, des affrontements directs des exploités contre les exploiteurs, du grand mouvement de grèves qui va de 1905 à 1913, une décennie charnière dans la lutte de classes dans la société française, caractérisée par une transformation violente et rapide du capitalisme. »

« Le lendemain, 11mars, les grévistes sortirent en cortège de la maison syndicale, où s’était tenue l’assemblée du soir, avant de s’éparpiller par petits groupes mobiles dans les rues de la localité. Beaucoup étaient armés de gourdins et quelques-uns de pistolets. Des vitrines de commerçants favorables au patronat, des fenêtres de jaunes ainsi que des vitraux de l’église essuyèrent quelques tirs. Un attroupement se forma ensuite à la hauteur de l’usine Besson, rapidement dispersé par la troupe chargée de sa protection. Les grévistes se dirigèrent alors vers le hangar d’un industriel, Paulhet, qu’ils incendièrent. Pour empêcher les pompiers d’arriver sur les lieux, ils disposèrent des troncs d’arbres en travers de la route, puis renversèrent la pompe du véhicule, après avoir crevé les tuyaux. Les gendarme, prestement accourus pour appuyer l’intervention des pompiers, ne purent empêcher le hangar et son contenu de se consommer totalement. Dans la soirée du 14 mars, après la réunion quotidienne, une petite troupe de grévistes prit la direction de la maison du maire, une imposante bâtisse construite sur une hauteur à la sortie de la ville, qu’on appelait par dérision le « Château Claudinon ». Se heurtant à deux sections d’infanterie chargées de garder les lieux, les émeutiers entonnèrent la fameuse chanson composée par Montéhus en hommage aux mutins du 17e de ligne, enjoignant les soldats à suivre leur exemple tandis qu’ils envoyaient des fusées pour appeler ceux d’en bas à la rescousse.

Les soldats firent alors les sommations d’usage. À la première les manifestants répondirent par un seul cri : « Vive la grève ! ». À la seconde, ils resserrèrent les rangs, à la troisième, suivant l’injonction de Jean-Marie Tyr, un militant anarchiste et syndicaliste, qui avait pris la tête du cortège, ils se jetèrent au sol. Au même moment, dragons et gendarmes à cheval, envoyés par le préfet, arrivèrent au galop et dispersèrent la foule sans faire usage de leurs armes.

Le lendemain, Jean-Marie Tyr était arrêté et conduit à la prison de Saint-Etienne. Or, cet ouvrier limier, âgé de 27 ans, qui avait présidé durant deux ans la chambre syndicale de la métallurgie, autodidacte et orateur de talent, était une figure locale très estimée, bon ouvrier, bon père et bon camarade. Personne n’avait l’intention de le laisser payer seul pour ce que tous et toutes avaient fait. Sitôt la nouvelle de son arrestation connue, 1500 hommes et femmes, armés de leurs instruments de travail et les poches remplies de boulons, marchèrent sur la prison de Saint-Etienne qu’ils encerclèrent, exigeant sa libération. A la demande du préfet, le procureur abandonna alors les poursuites pour complicité d’incendie, bris de clôture et violation de domicile engagées contre Jean-Marie Tyr. Et c’est porté en triomphe par une foule en liesse que celui-ci rentra au Chambon-Feugerolles, plus décidé que jamais à poursuivre la lutte. (…)

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