« Morceaux choisis »
Extrait de Samedi soir, dimanche matin d'Alan Sillitoe dans La Révolution prolétarienne n°807 (décembre 2019).
"Car je m’attends bien que tout n’aille pas tout seul : il faudra que je me débatte jusqu’à la mort. Pourquoi qu’on fait des soldats de nous, comme si on ne se battait pas assez dans la vie de tous les jours ? On se bat avec les mères et avec les femmes, avec les proprios et les contremaîtres ; avec les flics, avec l’armée, avec le gouvernement. Si c’est pas pour une chose, c’est pour une autre, sans parler du boulot qu’il faut faire et de la façon dont on bouffe sa paie. Je ne couperai pas aux tracas un seul jour de mon existence, parce que, des tracas, il y en a toujours eu et il y en aura toujours. Né de parents alcooliques et mariés au petit bonheur, conçu sans le vouloir dans un monde incohérent et fou, ayant survécu au chômage et à une guerre passée avec un masque à gaz sur la cafetière, avec les sirènes qui vous foutaient la trouille toutes les nuits pendant que vous croupissiez en grattant votre gale dans un abri antiaérien, ficelé en kaki à dix-huit ans et, quand on vous libère, c’est pour aller encore se faire suer dans une usine où faut gratter tant qu’on peut pour pouvoir s’offrir une pinte de rab, lever une femme le week-end en cherchant à savoir quels sont les maris qui sont d’équipe de nuit, trimer, avec les tripes en compote et les reins brisés, pour rien d’autre que l’argent qui vous ramènera là le lundi matin suivant...
C’est entendu. Mais tout compte fait, la vie n’est pas si mauvaise que ça, et le monde pas si mal fait, quand vous savez tenir le coup, et si vous vous rendez compte que le vaste monde ne sait pas encore qui vous êtes, bien sûr, mais qu’il ne tardera pas à l’apprendre."