« Libres d'avoir peur »
Recension de Contre la résilience par Alexandre Chollier dans Le Courrier.
D’introduction ou de conclusion, ce livre n’en a pas. Et pourtant chacun de ses chapitres pourrait valoir à la fois comme l’une et comme l’autre, tant les enjeux qui y sont soulevés nécessitent d’être remis sur le métier, et notre posture réévaluée. Il faut dire que les deux sujets abordés dans Contre la résilience. À Fukushima et ailleurs sont d’une nature réellement fuyante, bien que pour des raisons distinctes.
La «résilience» tout d’abord. Reconnaissons qu’elle a fait son lit partout, dans tous les domaines, nourrissant pratiquement chaque discours, faisant de nous, le plus souvent à notre corps défendant, des résiliomanes convaincu·es, sinon converti·es. Mais justement parce que partout à son aise, elle suscite parfois le malaise.
Ensuite, l’accident du 11 mars 2011 dans la centrale de Fukushima et ses suites. La fusion des cœurs de trois de ses réacteurs, l’émission de radionucléides affectant potentiellement 10 millions de personnes, l’écoulement continu d’eau contaminée dans l’océan Pacifique, les dizaines de milliers d’ «exilé·es», les 170 000 tonnes de déchets radioactifs le rappellent tous avec insistance: en aucune façon cet accident ne peut être défini ou borné une fois pour toutes. Dix ans après, celui-ci demeure hors de contrôle, nous laissant, face à lui, sans refuge certain.
La valeur du livre de Thierry Ribault tient à sa capacité de se saisir de cette double difficulté pour en tirer une critique fondamentale sur ce qui est peut-être la technologie du consentement la plus commune en ces temps de crise(s).
Que le concept de résilience sorte du champ de la physique des matériaux ou de la géologie importe peu en regard du succès qu’il rencontra dès les années 1940 dans les cercles de la psycho-sociologie étatsunienne pour décrire ces gens «sachant ‘tirer avantage de toute occasion pour s’améliorer’». Ou encore à l’entame des années 1970 quand, dans le champ d’une écologie systémique teintée de cybernétisme, on s’en empara pour décrire «la capacité d’un système à supporter l’impact de chocs déstabilisateurs» mais également lui permettre «de se réorganiser rapidement et efficacement afin de capitaliser sur des opportunités émergentes» (sic).
Pareil langage ne laisse planer aucun doute, ni sur le succès que le concept va rencontrer ni sur la difficulté, pour ses contempteurs, de faire entendre une voix dissonante. A vrai dire la moindre critique s’apparente ici à un quasi-blasphème: on ne peut en effet «calomnier le principe de vie lui-même». [...]
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