« Les machines contre le vivant »
Recension de La Révolte luddite de Kirkpatrick Sale par Le Phénix sur Agora Vox.
En 1811, la révolte des « luddites » anglais contre les « machines préjudiciables à la communauté » a failli tourner en révolution populaire. Pour le militant Kirkpatrick Sale, ces « fauteurs de troubles » demeurent dans l’histoire comme la « personnification de l’opposition à la technologie, les contradicteurs du progrès ».
Les populations occidentales du dernier tiers du XVIIIe siècle ont connu la plus profonde mutation qui ait jamais affecté leur espèce depuis l’invention de la roue : la « révolution industrielle », induite par la machine à vapeur de l’ingénieur écossais James Watt (1736-1819).
La dite machine fut la « première technologie industrielle de toute l’histoire de l’humanité à être, d’une certaine manière, indépendante de la nature, de la géographie, des saisons, du climat, du vent et du soleil, des ressources en eau et de l’énergie humaine ou animale » constate Kirkpatrick Sale . Elle a fait prendre à l’humanité un virage décisif dans le processus de maîtrise de l’énergie et fait émerger un type humain nouveau : l’industriel, le bâtisseur du monde à venir, pas vraiment enviable pour les populations d’alors et assurément nuisible à leur écosystème...
Ce premier système de production industrielle signa le passage d’une « économie organique fondée sur la terre, le labeur et les échanges locaux à une économie mécanique reposant sur les combustibles, l’usine et le commerce international ». Ainsi naît le « système de l’usine » qui entend habituer les humains à « renoncer à leurs habitudes de travail erratiques et à prendre exemple sur la régularité constante des machines complexes », selon un témoin de ce temps.
La première réaction à cette « logique de l’industrialisme » qui transforme les modes de vie et dévaste les paysages part, durant l’automne 1811, du berceau du machinisme, en Angleterre. Plus précisément, le départ de feu prend dans le triangle des Midlands, une zone « hantée par la légende de Robin des Bois »...
C’est la révolte des luddites, ainsi appelés parce qu’ils invoquaient la figure d’un meneur mythique, « le général Ned Ludd », dont le nom pourrait provenir d’obscurs personnages historiques ayant survécu dans des histoires populaires. Une autre version fait état de l’existence d’un ouvrier porteur de ce présumé patronyme qui aurait brisé des machines... en 1772. Des notables, édiles et "industriels", recoivent alors des missives signées du « Général Ned Ludd »...
Ces « luddites » sont des tisserands, des peigneurs et des tondeurs de laine, ainsi que des artisans des métiers du coton se sentant menacés par un nouvel ordre machinique qui les excluait. Ils se mirent à briser les machines qui, non seulement les dépossédaient de leurs moyens de subsistance mais aussi de leur expérience, de leur légitimité à être – de leur droit de vivre... Evincés comme humains de l’opération de production, ils se sentaient aussi évacués de l’équation vitale... Leur ressentiment ne concernait pas uniquement les objets-machines ou leur concentration dans de gigantesques immeubles aussi impersonnels qu’insalubres, mais leur signification même « en tant qu’instruments d’un nouvel ordre économique imposé aux ouvriers et à leur communauté ».
Certains journaux de l’époque parlaient d’une nouvelle « ère insurrectionnelle ». Le Premier Ministre Spencer Perceval (1762-1812) est assassiné, sans « aucun rapport avec le luddisme ». Considérée comme une menace « non seulement à l’ordre public mais aussi au progrès industriel », la révolte de ces « opposants à la dépossession machinique » fut férocement réprimée, avec une débauche de moyens policiers et militaires disproportionnée.. Dès cette année 1812, la destruction de machines devient passible de la peine capitale – treize « luddites » sont pendus, sans compter ceux tombés lors de fusillades... Les dernières actions d’éclat du luddisme remontent à la séquence de bris de métiers à tisser dans le comté de Nottingham, entre avril et octobre 1814 ou à la désinvolte attaque d’une usine de dentelles le 28 juin 1816. Le hurlement de protestation du luddisme expire peut-être avec l’échec d’une ultime tentative de soulèvement en juin 1817 (...).
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