26/02/25

« "Les Juifs de Belleville" : le roman de leur épopée enfin réédité »

Recension ds Juifs de Belleville de Benjamin Schlevin par Philippe Petit dans Marianne.

Enfin retraduit et de nouveau accessible dans sa version intégrale, le roman « Les Juifs de Belleville » (L'Échappée) de Benjamin Schlevin, publié pour la première fois en 1948, restitue la vie des artisans et ouvriers juifs de Belleville venus s’installer à Paris dans les années 1920. Originaires d’Europe de l’Est, ils fuyaient l’antisémitisme. La guerre mettra fin à leurs illusions.

Ils ont débarqué à la « Gar di Nor » après la guerre polono-soviétique de 1919-1920. D’autres ont suivi à Paris au début des années 1920, accueillis par ces premiers venus, comme eux petites mains arrachées de leur shtetl, travaillant dans la confection, ou bien fils de commerçants de Varsovie, ayant fait faillite et rêvant d’une vie meilleure. Ils étaient « les juifs de Belleville » tels que nous les restitue l’auteur yiddish Benjamin Schlevin (1913-1981) dans un livre portant ce titre paru en 1948, dont les éditions de L’échappée dans une merveilleuse traduction nous font le cadeau.

Après avoir lu ce récit empli de sollicitude et d’inventivité narrative quiconque aura le loisir de flâner sur les hauteurs de Belleville à Paris pensera à tous ces « étrangers » venus de l’Est. La force de ce roman polyphonique est de ne jamais céder à l’hagiographie ou la complaisance. L’auteur, de sensibilité communiste, n’est pas un réaliste borné. Grand lecteur de Balzac, il est comme lui un explorateur des passions humaines. Bien que son récit soit centré autour de deux personnages, un arriviste qui tente de réparer la faillite des siens, et un idéaliste qui garde la tête haute devant l’adversité, tous les personnages ont une égale valeur. Les femmes comme les hommes. Les ouvriers comme les patrons.

« Raus »

Cette comédie humaine s’inscrit dans une histoire dont on n’est pas sorti. L’histoire d’un monde englouti où ce qui était possible, la cohabitation entre « communautés », s’est révélé impossible après la défaite de 1940. Un monde où l’on pouvait discuter de tout dans le célèbre café Aux lumières de Belleville ou dans l’échoppe d’un horloger de Ménilmontant.

De la Torah, du futurisme russe, de la poésie yiddish, « des beaux idéaux d’autrefois », ce que l’on peut qualifier d’internationalisme spontané. Mais l’intelligence de l’auteur est de ne pas magnifier ces échanges. Il les met en perspective au contact du réel. La crise de 1929, les journées de février 1934, le Front populaire, la guerre d’Espagne, la « drôle de guerre », le stalag, l’Occupation.

Benjamin Schlevin est l’homme du temps vécu. Ce n’est pas un idéologue. Lorsqu’en juin 1940, ils entendent pour la première fois sur le front alsacien le mot « Raus » (dehors), et qu’un officier allemand demande aux « Israélites » de se ranger à part des autres, « les juifs de Belleville » comprennent qu’ils sont redevenus ce qu’ils avaient cherché à fuir. Ils s’étaient engagés pour défendre la France. Ils seront bannis de leur patrie d’accueil dès octobre 1940 (...).

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