« Les Juifs de Belleville – chef-d’œuvre du roman yiddish »
Recension des Juifs de Belleville de Benjamin Schlevin par Jean-Jacques Bedu sur Mare Nostrum.
L’ouvrage Les Juifs de Belleville de Benjamin Schlevin a connu une destinée mouvementée. Publié initialement en yiddish en 1948 par les éditions Oyfsnay, il a été traduit en français en 1956, mais cette version était incomplète et altérée. Ce n’est qu’en ce début d’année qu’une traduction intégrale et fidèle a vu le jour grâce au travail extraordinaire des éditions L’échappée, rendant enfin justice à cette fresque historique et sociale sur l’immigration juive à Paris.
Dans Les Juifs de Belleville, Benjamin Schlevin (1913-1981) dresse avec une acuité inégalée la fresque tourmentée d’une émigration qui, à défaut de se réduire à un exode douloureux, s’inscrit comme une opportunité de renouveau. Le roman nous convie à suivre Beni Grinberger, ce jeune juif aux allures à la fois fragiles et entreprenantes, qui quitte la Pologne afin de se confronter à un Paris aux contrastes saisissants. La ville lumière n’est pas le havre idyllique attendu, et il apparaît comme un territoire de tensions sociales, d’obstacles à l’intégration, et de luttes acharnées pour se faire une place dans un monde en pleine mutation. Benjamin Schlevin, en architecte des destinées, nous offre ainsi une œuvre à la fois historique, psychologique et politique, où chaque mot, chaque silence, résonne comme l’écho d’un destin collectif en quête d’identité (...).
Les Juifs de Belleville s’inscrit dans une tradition littéraire riche, dialoguant avec les œuvres de S. Ansky, de Primo Levi ou d’Isaac Bashevis Singer, et offrant une perspective plurielle sur les défis de l’exil. Cette intertextualité permet de souligner la diversité des expériences et la complexité des identités juives en Europe. Loin des raccourcis simplificateurs, le roman célèbre la richesse des interactions – parfois conflictuelles, souvent fraternelles – qui tissent le réseau d’un destin partagé, où la mémoire individuelle et collective se confond pour forger une identité en perpétuelle redéfinition. Au-delà de son intérêt historique et social, cet œuvre extraordinaire se veut une invitation à la réflexion sur la nature même de l’identité et du renouveau.
En traçant avec une précision quasi anthropologique les trajectoires de vies écorchées par l’exil, l’auteur pousse le lecteur à méditer sur les conséquences de l’abandon de ses racines et sur la nécessité de s’adapter sans renier son passé. La richesse des personnages, la diversité des destins et la multiplicité des obstacles rencontrés offrent ainsi un miroir tendu à une humanité en quête d’appartenance, où chaque réussite se conjugue à une défaite et où chaque espoir se heurte à la réalité impitoyable du quotidien. À travers ce roman poignant, Benjamin Schlevin nous rappelle avec force que l’exil n’est jamais qu’un départ : c’est une lutte, une métamorphose et un combat incessant pour exister dans un monde qui hésite entre l’accueil et le rejet (...).
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