« Les illuminations politiques de la librairie de Guy Debord »
Recension de Marx. Hegel, par Arnaud Jamin, sur le site Diacritik.
Avez-vous remarqué l’injonction qui nous est faite ces temps-ci concernant l’identité française ? Posséder un passeport ou une pièce administrative, vivre tranquillement dans le pays, tenter de s’y faire une place ou même simplement y respirer son air ne suffisent plus : il y a quelque chose à prouver, il va falloir vous justifier et même au coin de la rue montrer patte blanche. Le véritable déconfinement est, semble-t-il, celui d’une France éternelle très à droite, sordide. Celle qu’un écrivain particulièrement lucide avait en 1999 qualifiée de moisie sort à nouveau de terre, et tout le monde devrait désormais y faire allégeance. Une France qui n’a pas honte de son passé, qui ne regrette rien, qui vous impose plus de devoirs qu’elle ne vous accorde de droits et qui n’éprouvera pas de difficulté particulière à se laisser glisser dans l’eau froide du fascisme. Glaçant, non ?
C’est précisément dans ce temps qu’après Stratégie et Poésie, etc. et avant Histoire puis Philosophie, qu’intervient la publication du troisième tome de "La Librairie de Guy Debord" aux formidables éditions L’Échappée. Appel d’air, sa lecture permet de se téléporter en un éclair salvateur de l’autre côté du spectre politique. Ô joie ! Depuis 2009 le révolutionnaire fait officiellement partie du trésor national, la patrie est donc aussi là, dans le fonds Guy Debord du département des Manuscrits de la Bibliothèque nationale de France. Les fac-similés des fiches de lecture ici magnifiquement éditées grâce à l’équipe menée par Laurence Le Bras imposent sur fond rouge le titre Marx. Hegel qui ferait frémir [insérez ici le nom du ministre ou de l’opposant à votre guise] s’il avait une quelconque appétence pour la véritable pensée politique. Et si l’intérêt supérieur de la nation était effectivement et secrètement niché dans l’écriture serrée des lignes de ce Bic ? Voilà un exemple de la modernité fulgurante de Marx qu’apporte sur un plateau notre Guy Debord national lisant Les Révolutions de 1848 et le Prolétariat : “L’humanité acquiert la maîtrise de la nature, mais, en même temps, l’homme devient l’esclave des hommes et de sa propre infamie. La pure lumière de la science elle-même semble avoir besoin, pour resplendir, du contraste de l’ignorance. Toutes nos découvertes et tout notre progrès ont pour résultats, semble-t-il, de doter les forces matérielles d’une vie intelligente et de ravaler l’homme au niveau d’une simple force matérielle. Cet antagonisme entre la science et l’industrie modernes d’une part, la misère et la décadence moderne de l’autre, cette contradiction entre les forces productives et les conditions sociales de notre époque est un fait, un fait patent, indéniable, écrasant.” [...]
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