04/05/22

« Le néolibéralisme a confondu la différence et l’inégalité »

Entretien de Daniel Bernabé, auteur du Piège identitaire avec Mikaël Faujour pour Le DDV.

Les éditions L’échappée viennent de publier « Le Piège identitaire », traduction d’un essai du journaliste espagnol Daniel Bernabé, qui a rencontré un certain succès après sa sortie en 2018 et causé beaucoup de débats au sein de la gauche de son pays. Loin de limiter la question identitaire à la gauche « woke » et à l’extrême droite, l’auteur considère que le phénomène touche toute la société à l’heure d’un néolibéralisme produisant un « marché de la diversité ».

Quels ont été la raison et le premier motif pour rédiger cet essai ?

Quand j’ai commencé à écrire ce livre, à la fin de l’année 2017. Si l’ultra-droite n’était pas encore un acteur éminent en Espagne, elle l’était déjà en Europe et aux États-Unis. Les ultras étaient parvenus à renaître grâce au chaos provoqué par la grande récession de 2008, durant laquelle le libéralisme avait employé davantage de ressources à combattre la gauche qui prétendait répondre aux inégalités provoquées par cette crise, qu’à résoudre des problèmes structurels.
Un des instruments les plus puissants des ultras était le « politiquement incorrect », qui leur donnait l’impression d’avoir conquis le titre de rebelle. En revanche, la gauche semblait absorbée dans des discussions toujours plus abstraites, visant à satisfaire les minorités à travers la reconnaissance de leur identité.
Le livre, un travail journalistique, ambitionnait de raconter ce qui était en train de se produire, de montrer les lignes de front et de démêler un écheveau de masques, de confusions et d’illusions. Aujourd’hui, 20 000 exemplaires se sont déjà vendus en Espagne, non sans avoir provoqué une grande polémique au sein de pans de la gauche qui le qualifient de « réactionnaire ». Ce qui est certain, c’est que le travail est plus que jamais au cœur du débat public, ce qu’avait prévu Le Piège identitaire.

Pourquoi considérez-vous la diversité comme un piège ?

En raison de la façon dont elle est utilisée – et non pour elle-même. La diversité, c’est-à-dire le fait que nos sociétés sont composées de personnes très différentes, est un phénomène qui n’est en soi ni positif ni négatif. Depuis la fin des années 1970, le néolibéralisme naissant a confondu la différence et l’inégalité, manœuvre qui a particulièrement fonctionné aux États-Unis et au Royaume-Uni. Il a également produit une classe moyenne ambitieuse, des travailleurs qui se perçoivent au-delà de leur position sociale réelle.
Depuis le début des années 2000, la social-démocratie est entrée dans une étape de décadence accélérée, délaissant les politiques redistributives et prêtant davantage attention aux politiques de représentation : elles étaient moins coûteuses et personne ne semblait croire que le capitalisme eût besoin de l’intervention publique. Quel problème cela a-t-il créé ? Le suivant : si ces politiques de représentation avaient fonctionné quelques décennies plus tôt, elles entraînaient désormais toujours plus de conflits. Pourquoi ? Parce que nos identités, après des années de néolibéralisme, étaient devenues concurrentielles : nous croyions que la liberté et le bien-être étaient le résultat de la reconnaissance de nos différences, non de la lutte contre les inégalités. Cette bataille permanente entre groupes identitaires toujours plus atomisés, au détriment de la classe travailleuse, voilà ce que nous appelons le piège identitaire (...).

Pour lire la suite : www.leddv.fr/entretien/daniel-bernabe-le-neoliberalisme-a-confondu-la-difference-et-linegalite-20220504

Daniel Bernabé