« La violence du bagne gravée à bout de bras »
Recension de L'Incorrigible de Roland Cros par Jean-Charles Andrieu de Levis dans ActuaLitté.
Aux débuts du XXe siècle, un jeune homme démuni est envoyé au bagne colonial de Guyane pour avoir commis deux menus larcins. Son itinéraire l’amènera malheureusement à parcourir les différentes bâtisses et cachots qui le composent pour réaliser différents travaux forcés avant d’y trouver une mort tragique.
Pour raconter cette histoire, Roland Cros s’est inspiré de la vie de Louis Cros, un possible ancêtre très lointain qui trouva la mort au bagne colonial de Guyane en 1867. La découverte de la vie de ce personnage fut tout à fait fortuite et, comme le sort en décide parfois, a attiré l’attention de l’artiste sur les destinées tragiques des bagnards, marquées notamment par la brutalité des administrations pénitentiaires et par la barbarie des geôles.
Ce travail s’est alors enrichi des recherches de l’auteur qui souhaite non pas réaliser une biographie, mais davantage un récit emblématique du parcours des hommes condamnés à cet enfer. Il élabore ainsi un récit muet qui se décompose en 90 gravures sur bois qui se présentent les unes après les autres.
Ce processus de travail peut sembler de prime abord particulièrement laborieux et incongru. Il n’en est rien évidemment et cette technique permet au contraire d’ancrer ce récit dans une tradition bien marquée, celle des romans gravés. Initiés en 1918 par Frans Masereel avec son chef-d’œuvre, 25 images de la passion d'un homme, ces histoires ambitieuses réalisées à la gravure connaitront une fortune critique et artistique renforcées par les travaux d’Otto Nückel ou encore de Lynd Ward (pour ne citer que les plus connus). Ces livres, que beaucoup perçoivent comme l’ancêtre de ce que certains nomment le roman graphique, ont en commun une pagination imposante, l’usage de la gravure sur bois, et surtout un profond engagement politique et social.
Si, à l’époque des romans gravés, la gravure sur bois était une technique qui servait à reproduire un grand nombre d’exemplaires, elle revêt pour ce livre un rôle symbolique et stylistique, le premier procédant du second. En reprenant les différentes qualités de ce type d’ouvrages, l’auteur se place en parfaite continuité de ces images en lutte qui mettent en scène des destinées tragiques sous fond d’injustice et de lutte des classes. Il prévient le regard acculturé, initie les néophytes et adopte un processus énonciatif qui a su démontrer que des planches muettes pouvaient être aussi déchirantes qu’un hurlement lancinant (...).
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