08/12/23

« La mise en pièces des corps »

Recension du Capitalisme cannibale de Fabrice Colomb par Le phénix dans Agora Vox.

Un « capitalisme cannibale » met les corps en pièces et la Terre à sac – croissance obsessionnelle des « profits » oblige... Sa pulsion d’illimitation se nourrit autant de la destruction de la nature et des personnes que de « l’absorption de toutes les réalités qui lui échappent »... Pour le sociologue Fabrice Colomb, « nous marchons les yeux bandés sur la pente du capitalisme cannibale en étant convaincus qu’il va résoudre les problèmes qu’il crée ». Celui-ci se goinfre des « fragments biologiques pour sa propre perpétuation », jusqu’à précipiter son auto-destruction.

Quel est donc ce « système » qui « produit » de la pauvreté partout, dilapide de l’énergie au-delà de toute mesure et fait le malheur du monde ? Plus précisément, il fait le malheur d’une multitude oppressée de petits perdants, au seul « profit » d’une infime poignée de « gros gagnants », embusqués au sommet de la chaîne alimentaire.

Faute de mieux, on appelle ce « système » le « capitalisme », fût-il désormais sans capitaux. Le principe d’illimitation est son fondement même : tout peut et doit se transformer en marchandise, jusqu’aux corps vivants et aux esprits, jusqu’au plus intimes des émotions et des pensées... Comment l’espèce présumée humaine et pensante a-t-elle pu s’en accommoder, jusqu’à accepter la marchandisation des corps, le remodelage du vivant et la destruction de son socle vital sans s’en inquiéter outre mesure ?

La « cage d’acier »

L’enseignant-chercheur Fabrice Colomb (université d’Evry-Paris-Saclay) analyse avec une lucidité tranchante le capitalisme en « système global – politique, familial, culturel, technique, scientifique – qui façonne le monde à sa propre image  ». Ce qui caractérise ce « système global », c’est sa « dimension totalisante : il vampirise les espaces qui fonctionnent sur d’autres logiques comme les relations amicales ou familiales - avec pour conséquence la perte de la souveraineté sur la production de nos existences  ».

L’espèce présumée pensante est déchiquetée par un « capitalisme » carnassier, vorace et féroce qui n’en finit pas de vouloir « faire du toujours plus », de happer toujours plus d’énergie et de plus-value pour entretenir sa frénésie d’accumulation. Après avoir accepté de vendre leur « force de travail », les surnuméraires qui ne parviennent pas à s’employer au service de ce système mettent leurs organes en vente pour tenter d’y survivre...

Fabrice Colomb souligne que « la mise à disposition des corps pour le marché » relève d’une logique combinée d’exploitation, de réification et d’aliénation formant une « sorte de cage d’acier qui emprisonne les possibilités de maîtriser nos propres conditions de subsistance  ».

Ivan Illich (1926-2002) constatait : « Ce n’est qu’après avoir détruit la capacité de survie des gens qu’ils deviennent totalement et inconditionnellement soumis au pouvoir ». La métaphore parfaite de ce système tient dans la main, c’est-à-dire dans ce gadget de destruction massive qu’il réussit à vendre même à ceux qui n’en ont nul besoin : « Quand nous tenons dans la main notre téléphone portable, nous détenons un concentré du capitalisme : destruction de l’environnement, exploitation de mineurs, conflits armés pour la maîtrise des terres, surveillance généralisée, propagande publicitaire, culte de l’immédiateté, entreprise massive de distraction. »

Faute d’être assuré d’un « développement durable », faute de « ressources » à extraire d’un socle vital qu’il n’en finit pas de détruire jusqu’à l’ultime néantisation après numérisation forcée, le « capitalisme » n’en persiste pas moins à imposer « quoiqu’il en coûte » sa frénésie d’illimitation mortifère par un système de fraude et d’arnaque à tous les étages de son château de cartes. Après d’être « dématérialisé » et défiscalisé, il nie plus rageusement que jamais toute contre-réalité vivable, fondée sur un consentement collectif.

Pour l’heure, il puise sa capacité à se régénérer dans la vampirisation du vivant comme de la plus irréductible des réalités, dans cette phase terminale où il joue son va-tout en aspirant les ultimes ressources résiduelles pour leur « mise en argent », en vente - ou en guerre, puisque celle-ci « rapporte »... (...).

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Fabrice Colomb