11/05/22

« La guerre de l’attention est une guerre totale »

Entretien d'Yves Marry et Florent Souillot, auteurs de La Guerre de l'attention avec Catherine Marin sur Reporterre.

La « guerre de l’attention » nous fait passer notre temps devant les écrans, écrivent Yves Marry et Florent Souillot. Et les Gafam s’enrichissent. Face à cette « emprise émotionnelle », les auteurs promeuvent les espaces de déconnexion en ville.

Yves Marry a été salarié d’ONG, avant de devenir délégué général de l’association Lève les yeux !, qu’il a cofondée en 2018 avec Florent Souillot, responsable du numérique des éditions Gallimard-Flammarion depuis 2009. Ils ont coécrit La Guerre de l’attention — Comment ne pas la perdre. L’association Lève les yeux !, et son Collectif pour la reconquête de l’attention, intervient notamment dans les écoles, de la maternelle au lycée, pour sensibiliser enfants et parents aux dangers sanitaires et psychiques de l’abus d’écrans, et promouvoir des temps de déconnexion. [1]

Reporterre — Avec La Guerre de l’attention — Comment ne pas la perdre, vous avez écrit un livre à charge contre l’essor incontrôlé du numérique dans l’ensemble de la vie sociale. De quelle expérience sensible votre analyse s’est-elle nourrie ?

Yves Marry — Le choc émotionnel initial s’est produit pour moi en Birmanie. Je travaillais là-bas entre 2014 et 2018, quand le pays a été recouvert d’un réseau 4G. J’ai soudain vu tous les Birmans, des gens habituellement très dignes et très droits, baisser la tête pour plonger les yeux dans leur smartphone, happés par les applications numériques. L’animation de rue assez extraordinaire qui existait jusque-là à Rangoun vers 17, 18 heures, avec des gens qui jouaient de la guitare, d’autres qui bavardaient, s’est très vite estompée. Les gens ne se parlaient plus ! Ça a été un vrai choc, et une grande tristesse... J’ai eu la sensation de voir l’aliénation opérer très vite sur des esprits que j’admirais pour leur maturité, leur capacité d’attention soutenue du fait de leur pratique de la méditation bouddhique. Une vraie colonisation des imaginaires, comme dirait Serge Latouche.

Et puis en voyageant beaucoup entre 2014 et 2017, de l’Asie du Sud-Est à l’Amérique du Sud, en passant par la Russie, j’ai pu le constater partout : en très peu de temps, le monde entier avait baissé la tête !

Florent Souillot — Le déclencheur, pour moi, a été double : d’abord, ça a été de partager avec Yves cette sensation d’envahissement des écrans dans toutes les relations sociales, amicales, et qu’il se perdait là quelque chose. D’où la création de l’association Lève les yeux ! en 2018, puis du collectif.

Par ailleurs, en travaillant dans l’édition en tant que responsable numérique, au service, donc, de ce formidable outil de développement de l’attention qu’est le livre, je traite constamment de cette question de l’équilibre entre le papier et le numérique. En France, on ne s’en rend pas toujours compte parce qu’on baigne dedans, mais nous avons un écosystème du livre unique au monde — du grand choix d’ouvrages publiés à la qualité de diffusion de la parole des auteurs. Et s’il a pu être sauvegardé pour l’instant, contrairement à celui du disque, par exemple, c’est grâce à la mobilisation de tous les acteurs de la chaîne du livre, libraires, bibliothécaires, auteurs, éditeurs, etc (...).

Pour lire la suite : www.reporterre.net/Numerique-La-guerre-de-l-attention-est-une-guerre-totale

Yves Marry
Florent Souillot