« La Fabrique du muscle »
Recension de La Fabrique du muscle de Guillaume Vallet par Lucile Coquelin dans la revue STAPS.
Dans La Fabrique du muscle, paru en octobre 2022 aux éditions L’Échappée, Guillaume Vallet modélise une économie politique des corps hypermodernes à partir de ses observations de terrain portant sur le bodybuilding et les sports de combat. L’ouvrage éclaire les formes de résonance qui s’opèrent entre les institutions et les individus dans les processus de (re)production des normes sociales, de régulation des corps et d’engendrement des subjectivités. Sans réduire la complexité de son propos, l’auteur prend soin de ses lecteur·ices grâce à un style clair et des schémas didactiques tout au long de l’œuvre. En outre, dans la lignée des féministes postmodernes, le chercheur situe sa position par rapport à son objet de recherche. Un parti pris suffisamment rare en Sciences économiques pour qu’il soit souligné. Au fur et à mesure du livre, Guillaume Vallet invite ses lecteur·ices à le suivre dans son vécu, ses expériences et ses propres vulnérabilités d’athlète pour nous embarquer avec lui au sein de la fabrique.
2 La notion de « fabrique » proposée dès l’introduction par l’auteur repose sur l’idée que les corps musclés sont produits selon les logiques de la lean production. En mobilisant des croyances méritocrates et libérales cristallisées par le mythe de l’entrepreneuriat et de l’optimisation de soi, l’objectif pour les individus est de construire un corps performant, compétitif et désirable pour surmonter les moments de crise (économique, sanitaire, existentielle). Guillaume Vallet souligne l’implication des logiques du capitalisme des vulnérabilités dans la modélisation et la normalisation d’un idéal corporel dominant musclé. Pour adhérer aux valeurs de progrès constant de la médecine et des techniques, l’auteur explique qu’il faut avoir ressenti certaines fractures émotionnelles et affectives, comme face au rejet, à la maladie, au vieillissement et la mort. Ce sentiment de fragilité est une faille dans laquelle s’engouffrent les logiques industrielles du « capitalisme de vulnérabilité », processus qui s’accélère depuis les années 1980. Il est d’autant plus renforcé dans le contexte d’incertitude de la période (post-)Covid-19 durant laquelle l’offre et la demande pour le matériel de sport à domicile et la musculation en ligne ont explosé. Dans cette logique, la fabrique du muscle est à comprendre comme la réponse à la fois à un contexte historiquement, politiquement et économiquement situé, ainsi qu’à un fort besoin d’individualisation et de reconnaissance sociale des individus. Afin d’approfondir cette idée d’un processus de fabrication du muscle, l’ouvrage est structuré en quatre chapitres aux thématiques transversales qui s’approfondissent au fur et à mesure de la lecture (...).
Pour lire la suite : www.cairn.info/revue-staps-2024-0-page-I75.htm