« La consommation pornographique n’est innocente en aucun sens »
Recension de La Séduction pornographique de Romain Roszak par Stéphanie Combe dans La Vie.
Dans une approche originale, le philosophe Romain Roszak dissèque le phénomène et il conclut sans appel : au nom d’une exigence éthique et politique, il faut que cesse cette production.
Dans son essai, Romain Roszak, professeur agrégé de philosophie, déploie une théorie selon laquelle l’idéologie de la jouissance est nécessaire aux transformations du système productif capitaliste (production de série, nouveaux marchés du plaisir). « Ce qu’on en dit témoigne non seulement de la manière dont on appréhende la vie, le plaisir et la morale, écrit-il, mais engage encore une certaine façon d’affirmer cette manière d’être au monde, pour soi comme en société. »
Mythe du capitalisme heureux
D’un point de vue politique, la pornographie participerait de la stratégie des élites politiques, qui favorisent « la dissolution des consciences de classe et de sexe » et entretiennent « le mythe d’un capitalisme heureux, harmonieusement branché à la jouissance singulière de chaque individu ».
Il poursuit : « Comme marchandise massive, signifiante et promotionnelle, la pornographie participe d’un façonnage anthropologique décisif, socialement dangereux, politiquement risqué. »
D’un point de vue psychologique, la consommation de la pornographie fonctionne pour les couches les moins favorisées comme un mécanisme de défense, par lequel elles peuvent se persuader qu’elles sont admises, elles aussi, au cénacle des jouisseurs.
Le philosophe trentenaire observe aussi la brutalisation des rapports humains induite par la « disparition progressive de tout le cérémonial, verbal et gestuel, qui accompagne traditionnellement la prise de conscience d’un désir (dont la réalisation, par hypothèse, dépend du bon vouloir d’un autre), son expression, et l’attente de sa concrétisation ».
Désillusion de la satisfaction totale
Cette injonction illusoire de jouir sans entraves est érigée en norme. Or il montre qu’un utilisateur ne peut rester dupe de cette industrie : plus-value doublement extorquée, travail contraint des actrices. Comment dès lors s’accommoder de cette réalité triviale ?
Le philosophe développe les réactions du sujet à cette désillusion d’avoir cru à la promesse intenable d’une satisfaction totale et décomplexée : frustration, mauvaise conscience, processus de justification, minimisation. « La souffrance des actrices et des acteurs est reconnue, mais elle est réinterprétée comme un mal nécessaire à ma jouissance. Je ne la recherche pas, mais je l’accepte. » Jusqu’au sadisme : la souffrance de l’autre fait désormais partie de mon plaisir.
Abolir la pornographie
« La consommation pornographique n’est innocente en aucun sens : ni dans l’exploitation qu’elle implique ni dans le désordre psychique et social qu’elle engendre. » Les conséquences de cette analyse s’annoncent assez peu libérales, comme il préfère le prévenir. Et de les résumer en une formule lapidaire : « La production pornographique doit être abolie ; la consommation pornographique doit être restreinte ; sa promotion culturelle doit s’arrêter. »
Un refus, à contre-courant de son camp, de son propre aveu fort embarrassant. D’une part, il lui vaut d’être rallié « aux revendications des adversaires les plus encombrants : la vieille bourgeoisie traditionaliste (la droite partisane d’un certain ordre moral) et son aile chrétienne familialiste (partis de type chrétien-démocrate et associations de défense de l’enfance) ».
D’autre part, poursuit-il non sans humour, il risque gros par cette opinion : « On risque de perdre son statut mondain : les fines allusions, la tolérance large, la railleuse légèreté voltairienne. Et, partant, ses amitiés : “Il a bien changé.” Ou encore : “Qu’est-ce qu’elle a vieilli !” On se sera droitisé, en tout cas, c’est certain. Et on ne se verra presque plus, puisqu’on ne rira plus des mêmes choses. » À défaut d’en rire, on salue sa rigueur intellectuelle et son éthique, définie par certains comme le « courage de la vérité ».
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