« La collapsologie ampute l’écologie de ce qu’elle a de plus radical »
Entretien de Renaud Garcia, auteur de La Collapsologie ou l'Ecologie mutilée, par Fabien Ginisty dans L'Âge de faire (juillet-août).
Doit-on être collapso pour être écolo ? Sûrement pas, répond le philosophe Renaud Garcia, dans son livre La Collapsologie, ou l’Ecologie mutilée. Pour lui, effondrisme peut même rimer avec technocratisme et capitalisme, et c’est un problème.
L'âdf : La collapsologie, c’est un « exercice transdisciplinaire d’étude de l’effondrement de notre civilisation industrielle, et de ce qui pourrait lui succéder », d’après ses principaux promoteurs en France. Vous critiquez la collapsologie. Êtes-vous dans le déni de la catastrophe ?
Renaud Garcia : Les ravages infligés à la nature, à la société, mais aussi à l’âme humaine sont indiscutables, mais ils ne sont pas nouveaux : des intellectuels et militants lancent l’alerte depuis... qu’existe la société industrielle ! Le mouvement effondriste actuel semble avoir oublié toute la pensée qui l’a précédé, c’est ce déni-là qui me gêne. Sans remonter jusqu’à 1865, date à laquelle l’économiste Stanley Jevons s’interrogeait déjà sur la fin du charbon, pourquoi les effondristes ne citent-ils jamais des penseurs tels que Pierre Fournier par exemple, qui, en 1972, créait le journal La Gueule ouverte, présenté comme « le journal qui annonce la fin du monde » ? Je pense aussi à des intellectuels comme Charbonneau et Ellul, dont les œuvres nous permettent d’avoir des mots pour comprendre ce qui est en train de se passer. Mon livre s’intitule La Collapsologie, ou l’Ecologie mutilée, car la collapsologie ampute le mouvement écologiste de ce qu’il a de plus radical, de plus essentiel.
Le discours collapso n’a peut-être pas une cohérence théorique parfaite, mais il a le mérite d’être efficace, et de convaincre largement sur la nécessité de changer de mode de vie.
R.G. : Oui, mais en n’allant pas jusqu’au bout de l’effort critique, l’effondrisme peut très bien être récupéré par le système qu’il entend dénoncer. Voyez la notion de résilience par exemple, une valeur fondamentale promue par les effondristes. Autrement dit, se remettre d’un choc pour en ressortir plus fort. Retraduite en langage collapsologique, cela revient à « faire le deuil » du monde actuel et à nous adapter à un « monde à venir », sur lequel nous n’avons aucune prise. Quand on prend un tant soit peu de recul, on s’aperçoit que le discours dominant actuel de la start-up nation est exactement le même dans sa forme : le monde va changer radicalement quoi qu’on fasse, la numérisation du monde à venir est déjà donnée, il faut nous adapter maintenant à ce monde futur, qui, on le verra plus tard, soyez en sûrs, sera « meilleur », moyennant quelques « ajustements sociaux ». Voyez par exemple le discours de M. Macron au forum de Davos en janvier dernier. Je ne dis pas que la collapsologie promeut la numérisation du monde et la start-up nation. Je dis que son souci de l’adaptation individuelle (pas seulement, mais souvent) reste inoffensif pour ceux-là mêmes qui poussent à la catastrophe. Le problème de fond demeure : la permanence d’un pouvoir technocratique, bien que teinté de vert et d’intentions bienveillantes. Ainsi, le risque de la collapsologie, c’est qu’elle ne porte pas assez loin par manque de profondeur, et qu’elle soit retournée en simple « thérapeutique » d’un changement dicté par le capitalisme technologique. [...]
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