20/04/21

« Jacques Ellul, un pionnier de la dissidence écologique »

Recension de L'Empire du non-sens de Jacques Ellul sur le site d'AgoraVox.

Critique libertaire de l’état de notre civilisation « postmoderne », Jacques Ellul (1912-1994) est l’un des pionniers de l’écologie polique. Sa pensée dissidente est redécouverte à travers la réédition récente de deux de ses livres, consacrés à l’art et à l’argent, faisant le constat d’une double dilapidation de l’énergie humaine.

Vingt-sept après sa mort, Jacques Ellul n’en finit pas de se rappeler à notre souvenir en ces temps d’effondrement annoncé. Manifestement, il se passe quelque chose autour de son oeuvre, dont les éditions de L’échappée et de La Table ronde exhument quelques perles. Si sa pensée n’inspire pas encore de véritable politique « écologique » à la hauteur des enjeux notamment de disparition des espèces (dont la nôtre), elle n’en nourrit pas moins quantité d’expériences alternatives menées dans le monde par des dissidents de la société consumériste et hyperindustrielle sous emprise informatisée.

Philosophe, juriste, sociologue, analyste techno-critique de la société consumériste, Ellul prônait dès 1935 avec son ami Bernard Charbonneau (1910-1996), dans leurs Directives pour un manifeste personnaliste, le principe d’austérité volontaire et la création d’une « contre-société à l’intérieur de la société globale » dont les membres,constitués en petits groupes autonomes mais fédérés, limiteraient au maximum leur participation à la « société technicienne ».

Ainsi paraissait, une décennie avant La France contre les robots de Bernanos (1888-1948) et huit décennies avant les mouvements actuels en faveur de l’agir local contre le désordre global, le premier manifeste d’un tandem d’objecteurs de croissance qui entendaient opposer un véritable « style de vie » à l’aliénation technicienne d’un monde sans issue. L’amitié de ces deux jeunes Bordelais d’autrefois n’est pas sans rappeler celle de Montaigne (1533-1592) et de La Boétie (1530-1563) et a donné naissance à une buissonnière « école de Bordeaux », à l’origine du mot d’ordre : « Penser globalement, agir localement ».

Le « déchirement de l’art »

L’auteur du Bluff technologique laisse une oeuvre considérable, forte d’une soixantaine de titres. Les éditions de L’échappée rééditent L’Empire du non-sens, paru en 1980 aux Presses universitaires de France. Ellul y analyse la si peu résistible avancée du système technicien dans toutes les sphères de la société – jusque dans le monde de l’art. Parti de la représentation du réel, ce dernier ne fait plus qu’exprimer cette transposition du processus technique dans l’humain. L’art dit « contemporain » n’aurait-il ni style ni cohérence ? C’est « parce qu’il est essentiellement un ensemble disparate de masques plaqués sur une réalité bien plus fondamentale qui, elle, est cohérente, mais qui interdit à l’art de le devenir : la réalité technicienne  ».

Ainsi, l’art « existe dans le milieu technique et se constitue par rapport aux techniques ». Jusqu’alors produit de la fonction de symbolisation, il n’est plus en mesure de l’exercer puisque devenu une «  forme de premier plan du système technicien  ». Le voilà devenu un « rituel qui renchérit et aggrave la technicisation générale  ».

Si l’oeuvre est supposée porteuse de message, elle se doit, dans une société de non-sens, de réfléter ce non-sens : « Quand l’art n’a plus aucun sens, ne représente rien, ne dit rien, ne formule plus rien, c’est parce qu’il est vraiment l’art de cette société : il est par là même ce qui peut faire prendre conscience du caractère réel de cette société  ». Loin d’être une tension vers le dépassement, il n’assure qu’un « enfermement complémentaire » - un tour d’écrou de plus qui dépossède l’humain de ce qui aurait pu encore « rester une possibilité de vivre »...

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Jacques Ellul