04/01/25

« Il convient de se réjouir de la parution de Critique de la raison décoloniale »

Recension de Critique de la raison décoloniale par Nedjib Sidi Moussa dans Courant Alternatif.

Dans le fatras qui tient lieu de débat public en France, le terme « décolonial » s’est imposé au cours de la décennie écoulée au point de devenir, pour les conservateurs, un épouvantail commode, agité pour disqualifier la moindre contestation de l’ordre établi. À l’inverse, aux yeux de nombreux progressistes, il s’agit plutôt d’une bannière de ralliement qui recouvre des quêtes authentiquement émancipatrices mais aussi des entreprises bien plus discutables.

Le manichéisme inhérent aux controverses intellectuelles, la progression d’une extrême droite décomplexée ainsi que le sectarisme d’une certaine gauche radicale ont jusqu’alors empêché une clarification non seulement salutaire mais surtout indispensable en cette période réactionnaire. C’est pourquoi il convient de se réjouir de la parution de Critique de la raison décoloniale. Sur une contre-révolution intellectuelle(Paris, L’échappée, 2024).

Cet ouvrage collectif, traduit de l’espagnol par le journaliste Mikaël Faujour et l’essayiste Pierre Madelin, rassemble, pour l’essentiel, des textes issus du livre coordonné par la chercheuse Gaya Makaran et le sociologue Pierre Gaussens, Piel blanca, máscaras negras. Crítica de la razón decolonial (México, Bajo Tierra A.C., 2020) – à l’exception des contributions jugées « trop ancrées dans les réalités latino-américaines » – ainsi qu’un article de l’universitaire Andrea Barriga tiré du recueil dirigé par le sociologue Enrique de La Garza Toledo (1947-1921), Crítica de la razón neocolonial (Buenos Aires, Clasco, 2021).

Leur provenance commune ne doit rien au hasard. En effet, si dans la langue française l’adjectif « décolonial » pouvait être employé au milieu du XXème siècle en tant que synonyme d’ « anticolonial », sa signification évolue au cours des décennies ultérieures, à mesure que les études décoloniales, élaborées par des universitaires latino-américains, se diffusent sur les camps nord-américains et européens. Et cela, au risque de nombreuses équivoques, ainsi que le mentionne le sociologue Stéphane Dufoix dans l’essai Décolonial(Paris, Anamosa, 2023) :

« Parmi les dangers à éviter, le plus manifeste est sans doute la croyance dans le fait que le même mot signifie la même chose, qu’il a la même définition et les mêmes usages selon les espaces dans lesquels il circule, et selon la langue dans laquelle il circule. L’insoutenable légèreté des lettres cache bien souvent, sous son uniformité, des abîmes de différence qui rendent la compréhension particulièrement délicate et produisent aussi bien des malentendus que des anathèmes. »

Parmi les théoriciens les plus connus de ce courant se trouvent le philosophe Enrique Dussel (1934-2023), le sociologue Ramón Grosfoguel, l’anthropologue Arturo Escobar ou encore le sémiologue Walter D. Mignolo. Cependant, le sociologue Aníbal Quijano (1928-2018), à qui l’on doit le concept de « colonialité », occupe une place particulière au sein de cette famille intellectuelle, comme le souligne la chercheuse Claude Bourguignon Rougier dans l’article qu’elle consacre à la notion de « colonialité du pouvoir » pour l’ouvrage paru sous sa direction, Un dictionnaire décolonial (Québec, Éditions science et bien commun, 2021) (...).

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