11/03/21

« Fukushima, laboratoire de la résilience »

Recension de Contre la résilience par Joseph Confavreux sur le site de Mediapart.

L’accident de la centrale de Fukushima et la contamination des régions alentour furent l’occasion de mettre en place une « politique de la résilience » que le chercheur Thierry Ribault décrit comme une pure technologie du consentement.
Il ne s’écoule plus guère de semaines sans que le label « résilience » soit accolé à telle ou telle initiative, en particulier dans le domaine environnemental, à l’instar du projet de loi « Climat et résilience » dont l’examen a débuté lundi 8 mars à l’Assemblée nationale.
Depuis « l’opération Résilience » annoncée par le chef de l’État français au début de l’épidémie de Covid-19 aux « chief resilience officers » financés, dans une centaine de métropoles par la Fondation Rockefeller, dont la présidente a signé un ouvrage au titre emblématique (The Resilience Dividend. Being Strong in a World WhereThings go Wrong, soit « Le Dividende de la résilience. Être fort dans un monde où les choses peuvent mal tourner »), le terme est devenu un gimmick des politiques publiques et parapubliques.
On sait déjà que le terme, venu à l’origine de la physique pour désigner la capacité d’un matériau d’absorber les chocs et popularisé par la psychologie, notamment, en France, par les écrits de Boris Cyrulnik, permet, quand il est transposé en politique, de faire peser sur les individus les conséquences des chocs systémiques.
Il suppose en effet qu’une catastrophe, qu’elle soit de nature économique, politique ou climatique, pourrait se comparer à un traumatisme affectif et donc se dépasser grâce aux ressources psychiques des individus. On retrouve ainsi la notion en situation d’attentats, comme dans un édito du Monde, mettant en avant, au lendemain du massacre de Charlie Hebdo, l’espoir de pouvoir compter sur la « résilience des Français ».
Mais elle est aussi convoquée dans la lecture que l’on peut faire des calamités sociales, avec par exemple ce cartel d’une exposition récente du centre Georges-Pompidou consacrée au photographe américain Walker Evans jugeant que ce dernier «ne cherche surtout pas à faire de l’art mais plutôt à documenter la résilience ou la dignité humaine face à l’adversité» en photographiant les visages défaits des victimes en loques de la crise de 1929.
Le livre intitulé Contre la résilience. À Fukushima et ailleurs que viennent de publier les éditions de l’Échappée sous la plume du chercheur au CNRS Thierry Ribault, déjà coauteur des Sanctuaires de l’abîme. Chronique du désastre de Fukushima (Encyclopédie des nuisances, 2012) va toutefois plus loin que la recension des usages et mésusages d’une notion vague et en vogue.
D’abord parce qu’il étudie ce concept utilisé depuis une vingtaine d’années « pour rendre compte d’un pêle-mêle d’"expériences douloureuses – cancer, sida, perte d’un proche, captivité, catastrophe naturelle et industrielle,attentat, maltraitance –, autant d’épreuves que les êtres humains sont censés supporter à condition de leur trouver un sens, de conserver leur dignité morale et le respect de soi », non pas comme un simple effet de mode ou un faux nez, mais comme une véritable technologie politique. « Ce qui immunise la résilience contre toute véritable attaque,écrit ainsi le chercheur, c’est de ne pas être appréhendée pour ce qu’elle est, à savoir une technologie, c’est -à-dire à la fois un discours tenu sur la technique, et une technique elle -même.»
Ensuite parce qu’il retrace avec précision la généalogie et les dimensions multiples d’une « politique de la résilience » largement élaborée à la suite de l’accident nucléaire consécutif au séisme et au tsunami ayant touché le Japon il y a dix ans, le 11 mars 2011.
Enfin parce que le chercheur ne s’inquiète pas seulement des utilisations mensongères ou excessives de la notion, à la suite des nombreux travaux ayant « mis en évidence ses liens structurels avec le néolibéralisme et le fait qu’elle donne priorité à l’adaptation permanente du sujet ». La résilience est, à ses yeux, plus que cela car elle est « macabre, indécente, indéfendable ». Elle ne serait qu’une « funeste chimère promue au rang de technique thérapeutique face aux désastres en cours »,érigeant « leurs victimes en cogestionnaires de la dévastation ». [...]

Pour lire la suite de l'article : https://www.mediapart.fr/journal/culture-idees/110321/fukushima-laboratoire-de-la-resilience

Thierry Ribault