03/06/24

« Faut-il arrêter de regarder des séries ? »

Recension de Vide à la demande de Bertrand Cochard par Philippe Rioux dans La Dépêche du Midi.

Depuis plusieurs années maintenant, les Français consomment la télévision et ses programmes de façon délinéarisée, c’est-à-dire à la carte et en différé sur de grandes plateformes comme Netflix, Amazon Prime, Disney +, Apple TV +, Warner, etc. Même les chaînes traditionnelles se sont engagées dans cette voie du "replay" et on a vu dernièrement TF1 lancer TF1 +, M6 lancer M6 + ou encore le groupe Canal + lancer TV +. À chaque fois, le produit d’appel de ces offres est le volume de séries télé proposées. Les séries sont devenues incontournables. La part de la population disposant d’un abonnement qui permet de regarder des vidéos à la demande (VAD), des séries ou des films en illimité en France entre 2016 et 2022 a explosé passant par exemple de 30 à 78 % chez les 18-24 ans.

Avec des budgets parfois pharaoniques, de grands réalisateurs qui s’y investissent, des festivals dédiés, la série qui aborde une infinité de thèmes est devenue un phénomène. Mais un phénomène sur lequel on a rarement porté un regard critique sur l’addiction qu’il suscite ou les biais qu’il véhicule.

C’est ce regard critique que pose sur les séries le livre-enquête de Bertrand Cochard, agrégé et docteur en philosophie, qui publie "Vide à la demande" aux excellentes éditions L’échappée. L’auteur – qui avoue être "un sériephile repenti" – veut nous sortir de l’hagiographie dont bénéficient les séries pour nous confronter à leur impact sur nos manières de vivre et de penser.

Diminution de l’attention, du temps de sommeil, surcharge informationnelle, surexcitation, consumérisme exacerbé, etc. : sommes-nous encore maîtres de notre temps quand il est capté par les séries ?

Convoquant à l’appui de sa réflexion les philosophes de l’Antiquité comme Platon et sa République, Bertrand Cochard nous interpelle pour que l’on s’interroge sur les séries "qui véhiculent des codes, des valeurs, des normes, autour desquels nous faisons société, sans jamais que l’imaginaire qu’elles construisent soit ouvertement questionné."

Bertrand Cochard explique aussi combien le spectateur des séries participe, dans une "confortable passivité", de l’économie du numérique et, comme lorsqu’il surfe sur internet, émet des données qui seront captées et monétisées par les grandes plateformes. Le sériephile, soumis aux algorithmes de recommandation, se retrouve aussi piégé dans des bulles de filtre, qui l’empêchent de penser par lui-même.

Faut-il dès lors regarder moins de séries, à l’heure où notre dépendance aux écrans est débattue dans notre société, notamment pour les plus jeunes ? Difficile car "le visionnage des séries [est] solidaire de l’organisation sociale actuelle." Bertrand Cochard propose "d’opérer un sevrage, réapprendre à vivre et à rythmer son temps sans la médiation des écrans" ou en tout cas en cherchant à limiter leur utilisation pour redevenir maître de notre temps libre (...).

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Bertrand Cochard