« "Être devant une série, ça n’est pas ne rien faire : c’est émettre des données marchandisées, monétisées" »
Entretien avec Bertrand Cochard, auteur de Vide à la demande, par Anne Crignon dans Le Nouvel Obs.
Bien sûr, les séries c’est génial. Mais le philosophe Bertrand Cochard a enquêté sur cette petite voix, sourde, qui nous souffle que quelque chose ici nous dépasse et que tout ne tourne pas si rond…
Il est toujours réjouissant de voir un chercheur qui pourrait se satisfaire de lauriers déjà glanés et rester dans les clous œuvrer paisiblement à contre-courant. Agrégé de philosophie, professeur à Nice, Bertrand Cochard a pris pour sujet d’étude les séries. Quiconque s’est retrouvé tard dans la nuit à cliquer compulsivement sait bien que quelque chose nous a dépassé, nous dépasse et nous dépassera de plus en plus dans cette affaire. Pour donner la parole au petit Jiminy Cricket qui s’agite et proteste dans un coin de notre esprit, ce « sériephile repenti » comme il se présente lui-même, a écrit un livre. En spécialiste de Guy Debord et observateur affûté d’une société du spectacle empreinte d’une malignité grandissante, Bertrand Cochard oppose au discours marketing ambiant (avoir toujours en tête que les multinationales dépensent des millions en pub, communication et trafic d’influence pour gagner des milliards) une pensée solide, souvent surprenante. Entretien.
Vous vous présentez comme un sériephile repenti. Quelles ont été vos séries préférées et quelle est donc l’expérience qui vous a mené à une prise de parole publique ?
Bertrand Cochard Rien de très original : ma série préférée a définitivement été « The Wire ». Je crois qu’il était important, pour écrire cet essai, d’avoir fait l’expérience du caractère chronophage et addictif des séries. La critique que je déploie est aussi une critique « du dedans », et qui s’appuie donc en partie sur mon expérience personnelle de ces tunnels fictionnels que sont les séries, à qui l’on confie le soin de nous porter dans le temps. J’ai particulièrement été frappé par la justesse des propos de Günther Anders dans « l’Obsolescence de l’homme », qui explique que si, dans notre temps libre, nous nous tournons vers une consommation compulsive de marchandises, c’est bien parce que nous avons « horreur du vide », et que nous ne savons plus faire face à « l’angoisse qu’engendre l’espace de liberté résultant du loisir, le vide auquel [nous] exposent les loisirs » que nous devons organiser nous-mêmes, le temps libre que l’on a soi-même la charge de remplir (...).
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