« Debord contre le complot permanent »
Recension d'Un complot permanent contre le monde entier d'Anselm Jappe par Le Phénix dans Agora Vox.
Comment sortir du « spectacle » permanent, c’est-à-dire d’une « économie qui s’est autonomisée face aux hommes qui l’ont bâtie » ? Toute sa vie, Guy Debord (1931-1994), le meneur de « l’insurrection situationniste », a cultivé sa « capacité à combattre le spectacle sans entrer dans son arène ». Anselm Jappe, spécialiste de sa pensée, propose de « sauver la puissance de dérangement » de l’oeuvre de ce héraut de la sédition permanente.
Guy Debord refusait de se commettre avec la « société du spectacle ». Fidèle à lui-même,il refusa le Prix Sainte-Beuve pour son livre « précurseur de mai 68 », La Société du spectacle, paru dans une petite maison « atypique », Champ libre, qu’il définissait comme « une louche allure de complot permanent contre le monde entier »... Comme le rappelle Anselm Jappe, il n’a jamais aspiré à être un « artiste » et encore moins un théoricien de l’esthétique : « Ce qu’il visait, c’était le dépassement de l’art et sa réalisation dans la vie. Il l’a énoncé comme programme social et l’a exécuté dans une large mesure dans sa propre vie. » Ce que le stratège de la « révolution permanente » avait énoncé dès 1959 dans la formule suivante, parue dans le bulletin de l’Internationale situationniste : « Nous ne voulons pas travailler au spectacle de la fin d’un monde, mais à la fin du monde du spectacle ».
Précisément, Debord a donné à la notion de « spectacle » sa formulation philosophique et critique – comme il a donné un bréviaire à une génération, pour le moins. L’incipit de La Société du spectacle résonne avec l’ouverture du Capital de Marx : « Toute la vie des sociétés dans lesquelles règnent les conditions modernes de production s’annonce comme une immense accumulation de spectacles. » Sa notion de spectacle, la « principale production » d’une société jouant sur la dichotomie entre organisateurs et organisés, renvoie au « fétichisme de la marchandise » et à la « société spectaculaire », c’est-à-dire à la main mise d’un « capitalisme » sans finalité autre que sa folle expansion sur la « vraie vie des vrais gens » : « Le spectacle est une forme de la marchandise, au sens de Marx. Dans le spectacle, la marchandise se donne à voir et pousse le spectateur à une contemplation passive permanente ». Bref, le terme renvoie à la « gouvernance » de nos sociétés par les règles du jeu pipé de l’économie marchande - et à tout ce qui n’est pas vécu, voire le manque à vivre dans les dites sociétés. C’est le règne de « l’abstraction » monétaire et du tout-marchandise, la négation même de toute vie singulière, que ne pourrait conjurer qu’un art vécu comme « création de situations » dans une ville vécue en « théâtre d’opération ».
Anselm Jappe précise qu’il s’agit bien de préserver un noyau vital de possible redémarrage d’une possibilité de « civilisation », et ce, « quoiqu’il en coûte » dans le déchaînement du nihilisme prédateur « afin que le capitalisme n’emporte pas l’humanité entière avec lui dans sa tombe » (...).
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