« Critique de la raison décoloniale »
Entretien avec Mikaël Faujour, préfacier et co-traducteur de Critique de la raison décoloniale, par Florian Gulli dans le bulletin Lutte contre le racisme et l'antisémitisme du PCF.
« À propos du courant dit "décolonial", nous publions un entretien avec Mikaël Faujour, traducteur et préfacier de l’édition francophone du livre Critique de la raison décoloniale. Sur une contre-révolution intellectuelle, ouvrage collectif paru en octobre 2024 aux éditions de L’Échappée. »
Entretien mené par Florian Gulli.
1/ Pouvez vous dire en quelques mots quand est né le courant décolonial ?
En 1998, un groupe d'universitaires, majoritairement sud-américains, dont plusieurs exerçant aux États-Unis, fonde le projet Modernité/Colonialité : acte de naissance d'un « tournant décolonial », dont les assises conceptuelles avaient été posées durant les années précédentes.
Au fond, s'il n'existait pas à proprement parler de « courant » collectif constitué, les débats autour de la soi-disant « découverte » de l'Amérique à l'occasion des 500 ans de l'arrivée de Christophe Colomb (1492-1992), avait provoqué dans le cadre des débats intellectuels l'apparition du concept-clé de « colonialité », dans les écrits d'Aníbal Quijano (sociologue péruvien, 1928-2018) et d'Enrique Dussel (philosophe argentino-mexicain, 1934-2023).
2/ Quelle est, à grands traits, la conception décoloniale de l’histoire moderne ?
Dans un texte inédit en français mais issu de l'un des deux livres collectifs dont sont tirés les chapitres de Critique de la raison décoloniale, l'historien mexicain Miguel Ángel Urrego résume : les décoloniaux « considèrent le concept de race comme central pour expliquer l'ordre social et politique construit en Amérique latine depuis le XVIe siècle » 1.
Tandis que les études postcoloniales – dont l'ancrage géographique est le sous-continent indien – considèrent que la modernité naît au XVIIIe siècle, les penseurs décoloniaux – dont l'espace est l'Amérique latine – situent la naissance de la modernité en 1492. Cette date symbolique marque le début de la « colonialité », entendue comme le système de domination qui unit inséparablement racisme, capitalisme et colonialisme. Ainsi, dans un texte commun de 2007, le sociologue porto-ricain Ramón Grosfoguel et le philosophe colombien Santiago Castro-Gómez affirment « qu'il n'est guère possible de comprendre le capitalisme global sans tenir compte de la manière dont les discours raciaux organisent la population mondiale selon une division internationale du travail qui a des implications économiques directes : les "races supérieures" occupent des positions les mieux rémunérées, tandis que les "races inférieures" sont assignée aux formes de travail les plus coercitives et les plus mal rémunérées. » 2. (...)
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