10/10/24

« Comment un historien français, spécialiste du nazisme, parle de Marinus van der Lubbe »

Texte de Miguel Chueca, auteur de La Fabrique du complot.

Le présent texte, paru dans les Chroniques Noir et Rouge en mars 2022, était à l’origine destiné à un ouvrage alors en cours d’élaboration(1) : le volume excessif qu’il avait pris au fil du temps nous avait incité à en retrancher certaines parties essentiellement polémiques, où nous reprenions des arguments qui devaient être longuement traités dans le livre à venir. Le passage que nous avions gardé pour les lecteurs des Chroniques visait à montrer le manque de sérieux avec lequel les historiens français ont toujours abordé l’acte de Marinus van der Lubbe, l’historien visé ici n’étant qu’un exemple parmi bien d’autres : qu’on pense, par exemple, à Édouard Calic (Le Reichstag brûle !, 1969) ou à Gilbert Badia (Feu au Reichstag, 1983) ou encore au duo Serge Berstein et Pierre Milza (2), qui continuait – en 2010 ! – à qualifier Marinus de « simple d’esprit », de « pyromane » et de « déséquilibré »(3), en reprenant de vieilles calomnies qui ne discréditent en vérité que ceux qui en font encore usage.

 

Les extraits commentés ci-dessous sont tirés d’un livre de François Delpla, Hitler, paru chez Grasset en 1999.

 

1) Voici quelques-uns des détails donnés par cet auteur sur le voyage qui mena Van der Lubbe à Berlin et sur la journée du 25 février : « Et brusquement, alors qu’il informait sa famille de tous ses déplacements, il avait mystérieusement a disparu, en janvier 1933. [...] Arrivé on ne sait trop quand en Allemagne b, il est repéré par la police c et commet néanmoins trois menus incendies de bâtiments publics, le 25 février (4). »

Commentaires : a) Depuis le Livre brun sur l’incendie du Reichstag et la terreur hitlérienne, les adeptes de la théorie du complot (TdC) du Reichstag recourent de façon systématique à des mots comme « mystère », « mystérieux », « mystérieusement » pour suggérer l’existence de quelque chose de trouble dans toute sorte de faits relatifs à l’incendie mais dénués en réalité de toute importance et de toute obscurité. Que Van der Lubbe n’ait pas informé les membres de sa famille de son départ pour l’Allemagne peut s’expliquer par des raisons qui n’ont rien de « mystérieux », dont celle de ne pas les inquiéter à cause de la situation qu’il allait trouver en Allemagne alors que Hitler venait à peine d’accéder à la chancellerie du Reich ou parce qu’il avait été opéré des yeux peu avant et que la sagesse aurait dû lui commander de rester à Leyde pendant sa convalescence.

b) Lorsque Delpla écrivait qu’« on ne sait pas trop » quand Van der Lubbe arriva en Allemagne, il y avait beau temps déjà que des gens mieux informés que lui auraient pu éclairer sa lanterne. Quelques années plus tard, Delpla lui-même se référerait à la date du 18 février, qui figure en toutes lettres dans le procès-verbal de l’une des dépositions de Marinus devant les enquêteurs (5). Fritz Tobias avait déjà donné cette même date dans son grand livre de 1962 (6) et elle figurait également dans un article de sa fameuse série “Stehen Sie auf, van der Lubbe !” (7). Delpla aurait même pu la trouver dans le Livre brun (p. 85) de 1933 : mais il semble que, en 1999, soit 66 ans après la parution de sa première source d’inspiration, cet historien n’en avait pas encore pris connaissance.

c) Delpla ne dit pas d’où il tient que Van der Lubbe aurait été repéré par la police au cours de son (second) séjour à Berlin alors que, bien au contraire, tout porte à croire qu’elle ne savait absolument rien de lui au soir de l’incendie : la première chose que fit l’inspecteur Helmut Heisig pour savoir quelque chose de Marinus au lendemain du 27 février 1933 fut d’envoyer une lettre à un inspecteur de Leyde, la ville où Marinus était né et où il était encore domicilié à cette époque. En outre, nous savons que la police ne fut informée de deux des trois « menus incendies » du 25 février qu’aux aveux qu’il fit lui-même après le 27. Enfin, on comprend mal comment il se pourrait que l’ayant « repéré », elle n’ait rien fait pour s’opposer à ses tentatives d’incendie (8). Mais on voit bien où Delpla veut en venir : les « tout-puissants » services de Göring savent tout de lui, mais ils le laissent libre d’allumer ses « petits feux » ici ou là pour l’inciter à s’en prendre enfin au Reichstag, selon le plan imaginé depuis longtemps déjà par... Dimitrov(9) lui-même au cours du procès de Leipzig (10).

 

2) « Le groupe gauchiste berlinois avec lequel il était en relations ne pouvait guère manquer d’être, comme tous ses congénères, infiltrés [sic] par les policiers. »

Commentaire : Rien ne prouve que Marinus ait entretenu quelque rapport que ce soit avec des groupes conseillistes allemands, contrairement aux affirmations du faussaire Calic, dont Delpla s’inspire ici de toute évidence (11). Le manque de maîtrise de l’allemand écrit de la part de Marinus, dont il était bien conscient (12), laisse à penser, tout au contraire, qu’il n’a jamais correspondu avec des communistes allemands, de quelque tendance qu’ils soient. En vérité, le solitaire Van der Lubbe avait déjà assez peu de relations organiques avec les groupes néerlandais de ce même courant pour qu’on imagine qu’il en ait eu avec des groupes étrangers. Pour conclure là-dessus, on notera les mots mis par nous en italique, inspirés par la fiction d’une police déjà omnisciente et toute-puissante dès avant le 27 février 1933 : « le groupe gauchiste ne pouvait guère manquer d’être infiltré », une tournure habile par laquelle Delpla suggère qu’il devait certainement en être ainsi mais qu’en réalité, il n’en sait fichtrement rien. Et pour cause...

 

3) « [Göring] qui depuis six mois présidait le Reichstag, où il siégeait depuis cinq ans, avait eu tout le loisir d’en étudier ou d’en faire étudier l’inflammabilité. Si quelqu’un savait où mettre le feu, c’était bien lui. Il ne restait qu’à faire guider Lubbe par un agent inconnu qui l’aurait mis en confiance grâce à quelque mot de passe en jouant au gauchiste infiltré dans le personnel du Reichstag. »

Commentaire : Ici, faute de toute preuve, Delpla laisse libre cours à son imagination, comme Dimitrov le fit au procès de Leipzig à propos d’un chemineau nommé Watchinski, dont il essaya de faire, par la magie de son verbe, un agent de Göring. Mais encore avait-il le mérite d’exister, ce Watchinski. L’« agent inconnu », le « gauchiste infiltré dans le personnel du Reichstag », lui, est sorti tout armé du cerveau de notre spécialiste du nazisme – qui a pris au sérieux les inventions et divagations de Calic sur « l’ami Fritz » (13) – et il y est resté, si on en juge par le peu d’écho rencontré par cette « formidable » hypothèse : il est vrai que Delpla oublie, ou ignore plus sûrement, que peu après l’entrée de Marinus dans l’édifice, trois témoins – dont un policier nommé Buwert – aperçurent Van der Lubbe à travers les vitres d’une pièce du rez-de-chaussée du Reichstag, et qu’aucun d’entre eux ne vit d’accompagnateur devant ou derrière lui. Mais passons... Il n’est peut-être pas nécessaire d’insister outre mesure sur une suggestion infiniment ridicule qui fait penser à un mauvais roman de gare, avec « mot de passe » inclus : sans doute le fameux abracadabra censé ouvrir toutes les portes, y compris celles du Reichstag (14).

 

4) « Tobias et Mommsen (15) admettent la version officielle a suivant laquelle Van der Lubbe est entré dans le bâtiment environ un quart d’heure b avant son embrasement, à la faveur d’une défaillance ponctuelle de la surveillance c. Ils en font donc un sportif émérite d. »

Commentaires : a) Il est significatif que Delpla parle de l’existence d’une « version officielle » de l’incendie du Reichstag pour se référer à la thèse dite de l’« auteur solitaire », alors que la seule « version officielle » de l’événement fut celle que concoctèrent les juges du Reichsgericht [Tribunal du Reich] de 1933, cet étrange « complot communiste » qu’ils furent bien incapables de prouver et qui n’envoya à l’échafaud qu’un seul homme, celui-là même qui avait avoué être l’auteur du sinistre (16). En vérité, la vision de l’incendie qui a très longtemps fait fonction de « version officielle » – par défaut – de l’événement a été celle du « complot nazi » défendue depuis 1933 par les très nombreux prédécesseurs « complotistes » de François Delpla. Bien entendu, il est beaucoup plus seyant de prétendre aller contre la « version officielle » que d’avouer qu’on défend platement ce qui en a tenu lieu pendant quelques décennies, la thèse mensongère fabriquée par les propagandistes staliniens de 1933. Mais c’est que les « complotistes », quel qu’ils soient, doivent toujours s’opposer à une « vérité officielle » pour exister : c’est même là leur principal trait distinctif.

b) Ce que Delpla appelle, à tort, la « version officielle » de l’incendie ne dit pas que Marinus serait entré dans le Parlement « environ un quart d’heure » avant son embrasement, mais entre 24 et 27 minutes avant : on situe vers 21 h-21 h 03 son entrée par effraction dans l’édifice du Parlement allemand et à 21 h 27 celle de l’embrasement généralisé non du bâtiment mais de sa seule salle plénière. Sur un sujet aussi crucial – le temps mis par Van der Lubbe pour « incendier le Reichstag » –, dont les historiens complotistes ont fait une de leurs armes contre les partisans de l’« acte solitaire », il n’est pas mauvais de faire preuve d’un peu plus de rigueur, surtout quand on fait profession d’historien.

c) On peut admettre que Van der Lubbe ait bénéficié d’une « défaillance ponctuelle de la surveillance », à condition qu’on ne suggère pas qu’il s’agirait d’un stratagème pour le laisser entrer dans le Reichstag et y allumer des « petits feux » afin d’égarer les policiers et les pompiers pendant que les « vrais incendiaires » opéreraient dans la salle des séances (17). En vérité, la surveillance du Reichstag était rigoureusement assurée ce jour-là – contrairement à ce qu’affirmèrent les rédacteurs du Livre brun – mais, comme on sait, toute cuirasse a ses défauts, et Marinus sut en tirer parti. Par ailleurs, dès son arrivée devant le Reichstag, en début d’après-midi, Marinus avait soigneusement repéré les lieux. S’il eut sans doute un peu de cette chance qui ne bénéficie qu’aux courageux, il mit surtout à profit sa grande détermination et son agilité pour escalader une des façades du Parlement allemand et y pénétrer par une fenêtre, ce qui ne l’empêcha pas d’être repéré presque aussitôt par deux personnes – un étudiant en théologie et un typographe nommés respectivement Hans Flöter et Werner Thaler – qui passaient près de l’édifice et qui, en citoyens prussiens bien disciplinés, se hâtèrent d’en informer les représentants de l’autorité.

d) Quand Delpla brocarde Tobias et Mommsen pour avoir fait de Van der Lubbe un « sportif émérite » afin de mieux établir leur thèse, son ironie porte à faux : si cet historien s’était intéressé un peu plus à la vie de Marinus, il aurait su qu’il était en effet un véritable athlète. Tous les spécialistes de l’affaire du Reichstag – excepté Delpla, apparemment – savent que Marinus était un excellent nageur au point qu’en 1931, il s’était entraîné très sérieusement en vue de traverser la Manche à la nage (18). En outre, il avait passé de longs mois de sa courte vie à traverser – à pied pour l’essentiel – des pays européens au cours de ses périples des années 1931 et 1932 (19). Il est indéniable qu’il avait des qualités physiques bien supérieures à la moyenne qui, en d’autres circonstances, auraient pu faire de lui un véritable champion dans telle ou telle autre spécialité sportive.

Le gros problème de Delpla, et de quelques autres spécialistes du nazisme, c’est que parlant de l’incendie du Reichstag, ils ne s’intéressent sérieusement qu’au nazisme et aux nazis, en n’accordant qu’un intérêt très médiocre à l’auteur déclaré de l’incendie, qui n’était ni Allemand ni nazi ni vendu aux nazis ni même « manipulé » par eux. En revanche, ils discutent sur le point de savoir si c’est à Göring ou à Goebbels que revint l’idée de bouter le feu au Reichstag. Ou ils nous disent tout de la dispute de deux anciens nazis comme Hans Bernd Gisevius et Hans Georg Gewehr, auxquels Benjamin Carter Hett consacre des pages et des pages de son livre Burning the Reichstag (20) en croyant faire avancer d’un grand pas la résolution de la pseudo-énigme du Reichstag. Les chicanes entre ces deux personnages peu recommandables, l’assassin Gewehr et Gisevius, vrai arriviste et « résistant » antinazi en peau de lapin, ont sans doute leur intérêt – tout relatif, cependant –, mais elles n’ont rien à voir avec l’affaire du Reichstag. Quant à Delpla, s’il s’est souvent référé à Marinus, il a toujours montré qu’il ne savait à peu près rien de lui et guère plus sur les circonstances de son action du 27 février (21).

 

5) « Or, puisqu’on ne sait rien de [l’] emploi du temps [de Marinus] le jour du crime a, rien n’établit cet horaire, sinon les allégations du présumé criminel, qui, tout comme son exploit athlétique b lors de la reconstitution, pouvaient procéder du simple souci de dissimuler un complice c. »

Commentaire : a) François Delpla parle encore avec beaucoup de légèreté, comme chaque fois qu’il est question de Marinus. En réalité, une bonne partie des « allégations » – le mot n’est pas choisi au hasard, bien entendu – de celui-ci sur ce qu’il fit le jour du 27 février, de son départ de Hennigsdorf jusqu’à son arrivée à Berlin, sont recoupées par les déclarations d’un certain nombre de témoins. On sait qu’il fut libéré de l’asile de police de Hennigsdorf vers 7 h 45 ; qu’un coiffeur du lieu, un nommé Grave, le vit parler avec quatre passants vers 9 h, juste avant qu’il abandonne la localité ; qu’il arriva dans le quartier ouvrier de Wedding-Berlin aux alentours de midi, après avoir parcouru à pied environ 14 kilomètres ; qu’il y acheta quatre paquets d’allume-feux chez un marchand de charbon de la Müllerstrasse, un certain Stoll. À partir de 14 h, Marinus fit un repérage très soigneux du Reichstag pour pouvoir y entrer sans être vu : un employé du Parlement le remarqua alors à cause de son « apparence terrible ». Il devait préciser au cours de l’instruction que le personnage qu’il avait vu « n’était pas rasé, avait de fortes pommettes et portait des vêtements qui ne lui allaient pas », avec « des manches et des pantalons trop courts » (22). À partir de ce moment, il est vrai qu’on n’a guère autre chose que ses « allégations » pour connaître son emploi du temps de l’après-midi et de la soirée du 27, mais si toutes ses dépositions sur ses activités jusqu’à 14 h furent confirmées par des témoins, rien ne permet de penser qu’il aurait pu mentir sur ses activités postérieures : on peut légitimement supposer que, durant ce laps de temps, il fit tout son possible pour n’attirer l’attention de personne et se préparer mentalement et physiquement à son action de la soirée.

b) Faute de connaissances et d’arguments sérieux, Delpla fait dans l’ironie et, comme toujours, il manque sa cible. Marinus accomplit peut-être un véritable exploit athlétique au cours d’une reconstitution chronométrée par les enquêteurs qui, avec une belle conscience professionnelle – la même qui a fait défaut à un historien patenté comme Delpla –, avaient pris au sérieux sa version des faits et souhaité en éprouver la consistance (23). Cet « exploit athlétique » n’est rien, à vrai dire, à côté de celui qu’il réalisa le jour même des faits : l’état d’épuisement où le trouvèrent les deux fonctionnaires qui l’interpellèrent dans le Reichstag – toujours patent quand Diels (24) le vit, de longues minutes plus tard, dans un local bondé du quartier général de la police (25) – donne une bonne idée des efforts qu’il venait d’accomplir en un peu plus de vingt minutes.

c) L’idée que Marinus ne trahirait pas un éventuel complice n’est pas nouvelle. Elle figure même en bonne place dans l’arrêt du Reichsgericht qui le condamna à mort : une Haute Cour aux ordres des nazis y recourait aux témoignages d’un demi-frère de Marinus et de Piet van Albada (26), se disant convaincus tous les deux que Marinus « ne trahirait jamais aucun complice, mais prendrait toute la culpabilité sur lui-même » (27). À ce moment-là, il s’agissait pour les magistrats aux ordres des nazis d’établir l’existence d’un improbable « complot communiste » dans lequel le conseilliste Van der Lubbe aurait trempé aux côtés d’un député du KPD (!) et de trois membres du PC bulgare (!!), dont Dimitrov, qui était alors un très haut fonctionnaire du Komintern. Il est tout à fait vraisemblable que Van der Lubbe aurait été capable de se taire plutôt que de livrer un complice... s’il en avait eu un : la noblesse de son caractère et sa façon d’être toute particulière l’auraient à coup sûr poussé à un tel comportement. Cela ne prouve évidemment pas qu’il l’ait fait : s’il ne dit rien sur ces prétendus complices que lui inventèrent les nazis et les communistes, c’est tout simplement parce qu’ils n’existaient pas. N’en déplaise aux adeptes de tout poil des TdC du Reichstag.

Miguel Chueca

 

(1) Il s’agit, bien entendu, du livre La Fabrique du complot, paru chez l’Échappée au printemps 2024.

(2)Dictionnaire des fascismes et du nazisme, entrée « Reichstag (incendie du) », André Versaille Éditeur, Bruxelles, 2010, p. 489-490.

(3) Les psychiatres Karl Bonhoeffer et Jürg Zutt qui examinèrent Marinus à plusieurs reprises firent justice à l’avance de tous ces jugements infondés. Dans l’étude « Über den Geisteszustand des Reichstagsbrandstifters Marinus van der Lubbe » [À propos de l’état mental de l’incendiaire du Reichstag], parue in Monatsschrift für Psychiatrie und Neurologie en août 1934, ils écrivaient, entre autres choses : « Il n’y avait aucun signe de maladie mentale. Van der Lubbe donne l’impression d’être une personne très intelligente, volontaire et très sûre d’elle. » Je précise en outre que Marinus ne se rendit coupable d’aucun acte incendiaire avant ceux du 25 et du 27 février : commettre un ou plusieurs incendies est une chose, être un pyromane en est une tout autre.

(4) Deux jours avant de s’en prendre au siège du Parlement, Marinus avait tenté de mettre le feu à un bureau de bienfaisance destiné aux chômeurs, à l’hôtel de ville et au Berliner Schloss, le vieux palais impérial. C’est ce triple échec qui l’incita à rester à Berlin pour y faire une quatrième tentative incendiaire le lundi 27, alors qu’il venait de décider de rentrer chez lui.

(5) Celle du 28 février 1933. Voir in Marinus van der Lubbe, Carnets de route de l’incendiaire du Reichstag, Verticales, 2003, p. 206.

(6) Voir infra, note 15.

(7) Der Spiegel, n° 44, 27 octobre 1959.

(8) À moins, bien entendu, qu’on imagine que toute la police berlinoise était partie prenante du « complot nazi », une hypothèse à laquelle souscrirait volontiers tout conspirationniste digne de ce nom, mais qui est historiquement indéfendable.

(9) Dans sa dernière comparution devant le Tribunal du Reich, Dimitrov avança l’hypothèse que c’était sans doute le nommé Watchinski (ou Waschitzki) – le pauvre hère qui, la nuit du 26 février, partagea avec Marinus la même petite cellule de l’asile de police de Hennigsdorf – qui lui aurait suggéré l’idée de renoncer à ses petits incendies enfantins pour s’en prendre plutôt au Reichstag. Et Marinus, qui savait pourtant être très méfiant quand il le fallait, aurait aussitôt fait sienne la suggestion de ce parfait inconnu rencontré dans un asile de police !

(10) Le procès de Leipzig eut lieu du 21 septembre au 23 décembre 1933. Il se conclut par l’acquittement des quatre coaccusés de Marinus et par une condamnation à mort pour lui.

(11) Dans un précédent article des Chroniques Noir et Rouge (« Sur l’incendie du Reichstag. Lettre à Charlie Hebdo », février 2021), nous avons donné quelques exemples des tricheries du maître-escroc Édouard Calic, le premier à suggérer l’idée d’une complicité du communiste-conseilliste Van der Lubbe avec les nazis par l’entremise d’un prétendu « ami Fritz », qu’il aurait rencontré en 1928 aux (inexistantes) Spartakiades d’Amsterdam !

(12) Dans une lettre écrite le 10 mars 1933, Marinus avoue qu’il ne sait pas bien écrire l’allemand (Carnets de route, op. cit., p. 163). Les éditeurs des Carnets notent que cette lettre était écrite dans un « mélange d’allemand et de néerlandais ».

(13) Voir Le Reichstag brûle !, Stock, 1969. Ce personnage était une fiction littéraire imaginée par les deux auteurs – Jef Last et Harry Schulze-Wilde – d’une biographie mi-réelle mi-imaginaire consacrée à Marinus.

(14) Le ridicule de la suggestion n’empêcha pas notre historien – qui en était manifestement très satisfait – d’y revenir dans l’essai « Le terrorisme des puissants », paru en 2002 !

(15) Fritz Tobias est cet historien « amateur » qui, avec ses articles parus dans le Spiegel en 1959 et 1960 puis dans son grand livre Der Reichstagsbrand. Legende und Wirklichkeit [L’incendie du Reichstag. Légende et vérité] (1962), réhabilita la « thèse de l’auteur unique » défendue jadis par le Comité international Van der Lubbe contre les TdC des nazis et des propagandistes du Komintern. Hans Mommsen – qui était, lui, un historien de profession – étudia très attentivement le livre de Tobias et lui apporta son soutien et sa caution scientifique. Voir son essai « L’incendie du Reichstag et ses conséquences », in Le National-Socialisme et la société allemande. Dix essais d’histoire sociale et politique, Éditions de la Maison des sciences de l’homme, 1997, p. 101-178.

(16) En principe, il faut au moins deux personnes pour qu’on parle de « complot ». Les magistrats du Tribunal du Reich inventèrent le complot d’un seul homme.

(17) Cette version est en réalité celle des nazis : dans la première TdC stalinienne, celle du Livre brun, Van der Lubbe entrait dans le Reichstag mêlé au groupe des incendiaires nazis. Une fois l’affaire conclue, ses « amis » nazis l’auraient laissé tout seul dans les couloirs du bâtiment pendant qu’eux s’en retournaient gentiment par le fameux souterrain reliant le Reichstag au palais destiné au président du Parlement. Les rédacteurs du LB demandaient à leurs lecteurs de gober une telle ignominie et, voyez-vous, ils la gobèrent tout entière, avec l’appât, l’hameçon et la ficelle.

(18) Dans Le Reichstag brûle !, Calic – l’inspirateur de Delpla – notait aussi que Marinus avait participé en 1928 à des épreuves de boxe et de natation aux Spartakiades d’Amsterdam, ce qui était rigoureusement impossible puisque les Spartakiades de 1928 furent organisées à Moscou. Cette année-là, ce sont les « vrais » jeux Olympiques qui eurent lieu dans la ville hollandaise.

(19) Ces voyages sont relatés dans les Carnets de route cités plus haut, qui reprennent, en l’augmentant, l’édition parue dès 1934 sous le titre Le Carnet de route d’un Sans-patrie, préparée par Barbé et précédée d’un brillant avant-propos de Prudhommeaux.

(20) B. C. Hett est historien et avocat, ce qui explique en grande partie son goût pour la chicane et sa capacité à ignorer les évidences qui vont contre la cause qu’il plaide.

(21) Il l’a montré aussi, de façon caricaturale, dans l’essai intitulé « Le terrorisme des puissants », où il reprochait à Tobias et Mommsen de ne pas avoir su expliquer « comment [Van der Lubbe] avait pu entrer [dans le Reichstag] sans se faire remarquer » : en 2002 – soit quarante ans après la parution du livre de Tobias ! –, Delpla ignorait toujours que deux témoins (les nommés Flöter et Thaler) avaient entendu le bruit de la vitre cassée par Marinus pour entrer dans le Reichstag.

(22) Ce témoignage est recueilli dans le texte de l’arrêt du Tribunal du Reich daté du 23 décembre 1933.

(23) Le détail figure dans Trail Sinister, le livre de Mémoires du journaliste Sefton Delmer. Après de longues vérifications, les policiers qui entendirent les premiers la déposition de Marinus furent convaincus qu’il avait bel et bien agi seul.

(24) Rudolf Diels (1900-1956) dirigeait alors la police politique prussienne à Berlin. En avril 1933, Göring le nommerait chef de la nouvelle police chargée des « crimes politiques », la Geheime Staatspolizei, dite la Gestapo.

(25) Voici un court extrait de ce témoignage, tiré de son livre autobiographique Lucifer ante Portas, cité par l’historien anglais R. J. Evans dans Le Troisième Reich. L’avènement, Flammarion, 2003, p. 402 : « Torse nu, en sueur et maculé de suie, il était assis devant eux en sueur, respirant difficilement. Il haletait comme s’il venait d’accomplir un travail énorme. »

(26) La phrase attribuée à un des demi-frères de Marinus procède d’un texte signé par son frère Jan van der Lubbe et publié dans la brochure Wie is Van der Lubbe ? [Qui est Van der Lubbe ?], éditée par des membres de sa famille. Quant à Piet van Albada, le jeune intellectuel (et ex-anarchiste) qui initia Marinus au communisme des conseils, il aurait fait cette déclaration à l’inspecteur Heisig.

(27) Arrêt du 23.12.1933, section IV, paragraphe b, p. 106.

Miguel Chueca